Dahmane nous a quittés, avec ses coups de génie, ses traits fulgurants, ce côté flamboyant qui fait la beauté de la presse. Des amis de la rubrique culturelle d'Algérie Actualité, considérait Dahmane comme quelqu'un d'imperméable à la poésie et à l'art de façon générale, pourtant, lorsqu'on était étudiant, à la faculté de droit, il m'avait un jour fait lire tout un cahier contenant des poèmes, écrits à la main, preuve qu'il était sensible et avait un penchant pour l'art et l'esthétique, même si cela ne se voyait pas de prime abord. Un jour par exemple, on avait été voir ensemble un film de Woody Allen. Il avait quitté la salle au beau milieu de la projection. L'approche à la fois décaléé, ironique et désabusée de Woody Allen, caricature d'un intellectuel petit bourgeois, ne pouvait pas plaire à l'étudiant Mahmoudi qui aimait l'action et était féru d'analyses très spéculatives. Homme de gauche, il vira vers l'amour de la démocratie, écrivant des articles incendiaires contre l'intégrisme et le bâathisme, tout comme la corruption et le népotisme, pourfendant tout ce qui touche à l'intégrité de l'Etat. Ses prises de position, à la fois pertinentes et courageuses, lui valurent le respect aussi bien de la corporation que du personnel politique et des citoyens anonymes. C'est-à-dire que même si on n'était pas d'accord avec lui, on comprenait toujours ses motivations, qui étaient nobles et désintéressées. C'étaient les positions d'un intellectuel engagé, d'un homme de conviction, si peu porté sur le matérialisme et le goût du luxe. Du reste, il était toujours simple et se contentait de peu. Dahmane était fasciné par la chose politique. Je me souviens qu'un jour, à Algérie Actualité, au beau milieu des années 80, il avait demandé qu'on lui confie une nouvelle rubrique, qu'il avait intitulée la rubrique «institutionnelle». «Qu'est-ce que tu entends par là»? lui avais-je demandé. «J'ai envie, avait-il précisé, de m'occuper de l'information émanant des institutions: le Parlement, les assemblées de wilaya, les ministères, la Présidence, le secrétariat permanent du parti (FLN), la Centrale Ugta». C'était avant le 5 octobre 1988 et l'avènement du multipartisme. Il fut durant toute cette époque l'un des éléments les plus actifs et les plus combatifs du mouvement des journalistes algériens (MJA), contribuant à peaufiner la vision pour une nouvelle presse, libérée de l'emprise de l'Etat et du parti unique. Il a, du reste, écrit un livre sur les médias intitulé La face cachée du mensonge. Des analyses pertinentes, une information fouillée, des vues originales, et des prises de position qui dérangent. On n'oubliera pas la croisade qu'il avait menée au sein de l'hebdomadaire L'Hebdo libéré contre le gouvernement de l'époque. Les personnels des ambassades algériennes à l'étranger, les responsables des administrations centrales dans les ministères et les grandes entreprises publiques attendaient fébrilement les éditions de L'Hebdo libéré pour y lire chaque semaine des révélations fracassantes. Et en effet, il y en avait des révélations. Dahmane était un fondateur de journaux. On citera Le Nouvel Hebdo, qu'il avait créé avec un autre grand de la presse, à savoir Kamel Belkacem, puis L'Hebdo libéré, et enfin les Débats. Le quotidien Le jour d'Algérie, qu'il a créé en dernier, et qui paraît toujours, vient nous rappeler que Dahmane avait commencé à travailler dans le quotidien El Moudjahid, à la fin des années 70, avant de rejoindre Algérie Actualité. Il a également fait partie de l'équipe qui a lancé le quotidien L'Expression. Dans le domaine livresque, il a publié plusieurs essais, comme Les Financiers de la mort ou les Nouveaux boucs émissaires. Son combat le plus célèbre restera celui qu'il a mené contre les magistrats faussaires, une affaire qui lui valut un séjour à la prison de Serkadji, parvenant à mobiliser derrière lui toute la corporation. Son dernier combat a été mené contre une terrible maladie, qui a fini par avoir raison de lui, mais il restera pour nous tous un exemple de talent, de courage et de probité.