Ils étaient bien maussades, hier, à Tebrent, El-Qaria et T'îna. «Ils», ce sont les repentis de l'AIS à Larbaâ. Au centre de vastes turbulences créées de toutes pièces par des cercles politico-médiatiques en mal d'ennemis à combattre, ces repentis alimentent aujourd'hui aussi bien la «presse d'intrigues» que les partis «à bout de souffle». Debout dans le couloir étroit que forme la rue du marché de T'îna, des dizaines de repentis étalent leurs légumes, bibelots, vêtements, friandises ou jouets pour enfants. Le commerce ne paie pas de mine, la mine, non plus ne fait pas commerce. On sent la pression pesée sur «ceux qui rêvaient de refaire le monde». Depuis qu'ils ont déposé les armes et intégré le mouvement de trêve du Centre, affilié à Hadj Mustapha Kertali, ils ont pu bénéficier des mesures de loi portant sur la Concorde civile. Tiraillés entre une société qu'ils avaient, auparavant, déchirée, et une vie quotidienne, dure et monotone, ils essayent de réintégrer la vie civile, sans faire de bruits. Depuis près d'une année, ils font l'objet d'«appels de la forêt». Par incursions meurtrières épisodiques, les groupes armés affiliés au GIA ou au Gspc leur lancent des messages codés, les incitant à reprendre les maquis contre ces autorités qui «vous traitent comme un bétail malade et indésirable parqué dans des enclos de fortune». Pour le moment, Kertali semble encore assez influent pour mettre ses ex-troupes hors de toute tentation, malgré, disent les repentis, «une non-reconnaissance de nos droits». B.Hamid, qui vend des montres à T'îna, dit: «Depuis un ou deux mois, et de manière programmée, nous sommes la cible de la presse et de certains partis, qui nous dénient jusqu'au droit civique le plus élémentaire.» Mohamed, la trentaine, barbe, k'hôl aux yeux et accoutrement afghan à l'appui, affiche sa colère: «Je vois que depuis trois mois, il n'y a que l'AIS qui gêne, que les repentis qui dérangent, alors que ces messieurs, partis en campagne électorale, ne se gênent pas pour multiplier les attaques et les critiques méchantes et infondées. Sommes-nous en train de nous présenter aux élections? Non. Soutenons-nous un candidat, un parti? Non. Mais qu'on ne nous dénie pas le droit d'aller voter si nous voulons voter!» Du côté de Hadj Mustapha Kertali, c'est le silence radio. Contacté à plusieurs reprises, directement ou par des intermédiaires, il refuse de s'exprimer malgré les propos imaginaires qui lui sont attribués à tort et à travers dans quelques titres de presse algérienne et étrangère (Ec-Charq El- Awsat notamment). Mais là n'est pas le plus important, car il s'agit d'une véritable campagne menée tambour battant contre les repentis. Et comme la branche AIS de Larbaâ est aux portes d'Alger, alors il fallait bien commencer par elle. Veut-on inciter les repentis à la radicalisation? Qui veut encore les priver du droit le plus élémentaire de citoyen? Ces attaques menées de front contre l'AIS et les repentis sont-elles une façon de signifier au Président de la République que son projet de concorde civile est au point zéro? Veut-on faire croire aux Algériens que le post-islamisme a déjà commencé? C'est peut-être en se référant à ce genre de questions qu'il nous serait possible de comprendre la face cachée du problème des repentis. Il est, certes, sûr que l'AIS, faite de divers morceaux et assemblages, n'est pas monolithique, mais il est aussi établi que les repentis affiliés à cette ex-organisation ne sont pas des monstres qui sont en train de se régénérer pour avaler l'Algérie. Il reste, enfin, à croire que toutes les turbulences créées autour de l'AIS ne sont que des artifices de politiciens. Sinon on serait contraint de croire, lucides et hallucinés à la fois, qu'aujourd'hui, sous nos yeux, se met en place la stratégie de la fabrication et de la gestion de la menace islamiste.