«Oter tous les alibis législatifs et réglementaires à toutes les formes de l'arbitraire», a indiqué le Président. Bouteflika veut-il lever l'état d'urgence? A la lecture du communiqué de la présidence adressé samedi à la Commission nationale de promotion et de protection des droits de l'Homme, présidée par Me Farouk Ksentini, il semble que la volonté, du moins, y est: «L'élaboration du plan national pour les droits de l'Homme permettra notamment une meilleure lisibilité des normes les encadrant et devra aboutir à terme à ôter à toutes les formes de l'arbitraire tous les alibis législatifs et réglementaires, qui pouvaient, par leur insuffisance, leur servir de caution.» En rattachant cette perspective aux exigences dictées par l'engagement de l'Etat algérien à respecter les droits de l'Homme, Bouteflika paraît placer d'un coup la levée de l'état d'urgence dans le sillage immédiat des signes forts destinés à la communauté internationale. Et si les engagements de notre pays scellés dans l'un des articles de l'accord d'association avec l'Union européenne en matière de respect des droits de l'Homme avaient été ébranlés par les derniers développements de la situation en Kabylie et ailleurs, il est certain que la levée de l'état d'urgence participera à regagner, en quelque sorte, le terrain perdu. Même le directeur de cabinet de la présidence, Larbi Belkheir, avait désacralisé la question en estimant, dans un entretien au quotidien français Le Monde, paru récemment, qu'il ne voyait pas, personnellement, l'utilité du maintien de l'état d'urgence. Des sources avaient même lié cette disposition de la plus haute autorité du pays, qui datait de plusieurs mois en fait, à un éventuel rapprochement avec le FFS dont l'enjeu sera le respect du calendrier électoral. Le mot «alibi» employé par Bouteflika dans ce communiqué, n'appartient-il pas à la littérature des ONG internationales et autres militants des droits de l'Homme en Algérie qui ne cessait de condamner le maintien de cette procédure exceptionnelle et «liberticide». L'Algérie est toujours régie par le décret sur l'état d'urgence datant du 9 février 1992. De l'aveu du professeur Issad, qui a dirigé la commission officielle d'enquête mise sur pied par Bouteflika sur les événements qui se sont déroulés en Kabylie depuis le printemps 2001, ce décret a été suivi d'un arrêté interministériel, non publié, daté du 25 juillet 1993, qui donne délégation aux commandants des régions militaires, sans situer clairement les responsabilités au point que, selon M.Issad, ces textes traduisent un glissement de l'état d'urgence vers un état de siège. Et ce n'est pas le seul signal fort du Président. Bouteflika a invité la commission de Ksentini (créée en janvier dernier et qui a remplacé le défunt Obsevatoire national des droits de l'Homme) à «se pencher sur la pertinence du dispositif juridique national au regard des nécessités de la promotion et de la protection des droits de l'Homme dans notre pays et à oeuvrer à l'élaboration d'un plan national des droits de l'Homme». Disposant en parallèle des «nécessités de la promotion et de la protection des droits de l'Homme» d'un côté et «la pertinence du dispositif juridique national» de l'autre, Bouteflika semble reconnaître à demi-mot le déphasage enregistré entre ces deux notions. Bouteflika a ainsi suggéré «un véritable audit de notre législation nationale en référence à sa conformité avec les standards internationaux consacrés dans les conventions internationales auxquelles a souscrit l'Algérie». Invité au Forum d'El Moudjahid le 27 février dernier, Farouk Ksentini s'était déclaré «inquiet» des suites données au rapport portant réforme de la justice tout en espérant que les responsables du département d'Ouyahia «auront l'honnêteté de ne pas retoucher ce projet» et de fulminer: «Dans ce pays, on complote contre la Justice, surtout dans les affaires civiles... On juge dans toutes les directions. C'est le chaos!» Et bien que le ministre en question ait tenu à rassurer l'opinion sur la bonne marche des réformes, il n'en demeure pas moins palpable que le dossier de la Justice reste source de toutes les appréhensions. L'avocat Brahimi n'avait-il pas estimé à l'occasion de la rencontre du même Forum que «la justice ne s'est jamais aussi mal portée que depuis qu'on parle de la réforme».