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«Ce pays qui me fait mal...»
HOTEL SAINT-GEORGES DE RACHID BOUDJEDRA
Publié dans L'Expression le 19 - 03 - 2007

«j'ai écrit ce livre pour comprendre et régler mes comptes avec certaines choses, notamment sales liées à la guerre d'Algérie» dira l'auteur de La Répudiation...
C'est à l'hôtel Saint- Georges, titre de son nouveau roman, qu'a tenu hier, l'écrivain et célèbre auteur, Rachid Boudjedra, une conférence de presse pour annoncer la sortie de son livre, aux éditions Dar El Gharb, d'Oran. «Je n'ai plus écrit depuis cinq ans, parce que je ne voulais plus trop écrire», dira l'auteur, comme pour justifier sa prolifique carrière et de citer l'exemple, un peu choquant, de Mohamed Dib qui capitalise plus de 82 livres. «Mon rythme biologique correspondait à un livre tous les trois ans. Avec l'avènement du terrorisme, j'ai décidé de rendre les coups par balles en intensifiant le rythme de mon écriture à un livre par an». Pour Boudjedra de toute façon, on écrit qu'un seul livre dans toute sa vie. Ecrire ses phantasmes, ses douleurs, ce pays qui lui fait mal...Alors lui qui croyait avoir réglé ses comptes avec la guerre pour l'Indépendance de l'Algérie, en 1982 en publiant Le Démantèlement, se rend compte qu'a l'évidence, non. Cette envie lui collera toujours à la peau. «Celle-ci nous mène vers une autre lutte et puis, c'est place à la remise en question», expliquera l'auteur de La Répudiation. L'Hôtel Saint-Georges en est la résultante. L'histoire est celle d'un ébéniste français qui est appelé sous les drapeaux en Algérie pendant la guerre de Libération pour fabriquer des cercueils destinés à rapatrier les dépouilles des soldats français «morts pour la France».Il assiste, horrifié, à la décomposition de la soldatesque française en même temps qu'à sa propre déchéance. Son lieu de refuge est cet hôtel Saint-Georges de la capitale avec son bar où viennent s'échouer des âmes en peine pour échanger des confidences. C'est là où Jean, c'est son nom, fait la rencontre de Nabila qui, à l'époque étudiante en médecine, travaillait dans ce bar. C'est cette dernière qui est à l'origine de ce roman, puisqu'elle en transmettra les faits, des années plus tard, à Rachid Boudjedra. Au moment où la France veut se disculper, ce roman intervient pour dire l'horreur de cette guerre que va découvrir ce jeune homme, dire les génocides, la douleur de ces deux personnages. Ce roman se veut «psychologique» pour tenter de comprendre certaines choses notamment «sales» qui ont émaillé cette guerre de l'intérieur, nous expliquera Boudjedra. Interrogé sur la loi du 23 février, l'auteur répond que l'idée de son roman, qui date bien avant cette loi sur le colonialisme positif, n'a rien à voir. Evoquant son parcours entamé depuis 1969 et la traduction, cet amoureux de la femme dira que nous vivons dans une société arriérée et par conséquent, où il est impossible de traduire vers l'arabe son ouvrage La Répudiation. Soulignant son rapport à la langue, Rachid Boudjedra avouera avoir écrit au début, en français en se faisant publier à l'étranger, pour échapper à la censure en Algérie, cependant, avec le phénomène de l'arabisation, dit-il «il était temps que je me mette à écrire en arabe, ma langue charnelle avec laquelle j'entretiens un rapport érotique, en gardant toujours un très bon contact avec le français...» Facile à l'abord mais complexe dans sa structure, à l'image de Timimoun ou l'Escargot entêté comme l'atteste l'auteur, ce roman, Hôtel Saint-Georges, se décline dans un style de toute beauté, qui frise par moments le lyrisme où s'intercalent des phrases courtes, se réduisant à un seul verbe sans répétition du sujet, de simples substantifs ou des qualificatifs et des phrases tronquées. L'auteur éprouve un malin plaisir à entretenir le suspense accrocheur qui plane sur tout le livre. Le récit est parfois macabre, à l'exemple de Kheira l'égorgeuse, qui avait été violée et enrôlée de force dans les services de l'armée française, après la mort de ses deux enfants dans les maquis algériens. Mais les propos de Kader, un ancien harki qui s'exprime dans un «francarabe» obscène, ressemble à une horrible et méchante tache au milieu de si belles pages. C'est que l'auteur a tenu à respecter le parler d'un tortionnaire analphabète. Le style narratif de ce livre se démarque du roman classique par une écriture non linéaire. Il se présente sous la forme de monologues des différents personnages mis en scène, dans lesquels viennent se greffer d'autres locuteurs, créant ainsi, par de subtils enchâssements, un dialogue dans le monologue. D'un anticonformisme viscéral, ce roman se distingue par un mélange de sexualité et morale, histoire, sentiments, réflexions, beauté et tragédie. Enfin, ce nouveau roman, le 15e, où les personnages sont imaginaires mais tout aussi vraisemblables, représente un brusque virage sur l'aile qui pourrait provoquer un crash dans le classicisme ambiant. Et réveiller les braises qui couvent sous la cendre. On est bien prévenu par les éditons Dar El Gharb!

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