Les Etats-Unis et l'Iran vont-ils s'unir pour trouver une issue à la tragédie irakienne? Ce serait à l'évidence paradoxal. La conférence ‘'internationale'' qui s'ouvre, aujourd'hui, à Baghdad et qui doit réunir, outre l'Irak et les Etats-Unis, les quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (Chine, France, Grande-Bretagne et Russie) et les pays voisins de l'Irak dont la Syrie et l'Iran notamment, aura pour leitmotiv de prendre date, d'autant plus qu'elle se fera au niveau des ambassadeurs. Mais ce sera la première fois que des pays plus ou moins impliqués dans le contentieux irakien tenteront de trouver une issue pacifique à une tragédie qui ne cesse d'ensanglanter et de meurtrir l'ancienne Mésopotamie. La curiosité, si s'en est une, est la présence «côte à côte» de l'Iran et des Etats-Unis ennemis devant l'Eternel. De fait, Washington compte bien saisir cette occasion pour «mettre en accusation» Téhéran dans la recrudescence de la violence en Irak ou chaque jour laisse son quota de victimes. Le dernier carnage eut lieu mardi lors d'un double attentat suicide qui fit près de 120 morts parmi les chiites, actuellement la communauté irakienne la plus touchée par la violence interconfessionnelle. Aussi, la conférence de Baghdad, outre de tenter de trouver une solution au conflit irakien, sera un test, estiment les analystes, de la volonté de Washington de dialoguer avec un représentant du «mal» qu'est, selon les Américains, l'Iran. Cette réunion préparée par le gouvernement irakien -qui y a invité les pays voisins et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU- doit, du point de vue de ses organisateurs, apporter l'appui de ces pays aux tentatives des autorités irakiennes de rétablir la sécurité et la stabilité en Irak et singulièrement dans la capitale Baghdad prise en étau entre les différents groupes jihadistes, sunnites et chiites. En réalité, cette question ne préoccupe pas uniquement les autorités de Baghdad mais, également, les Etats-Unis qui, vaille que vaille, ont dû admettre que les choses n'allaient pas du tout comme ils l'avaient prévu et qu'aujourd'hui les troupes américaines, embourbées dans la guérilla irakienne, sont en train de rééditer le syndrome vietnamien. D'ailleurs, allant plus loin que le gouvernement irakien qui, échaudé par les précédents échecs de réunir ses voisins, s'en tient à une première réunion exploratoire, les Etats-Unis, par la voix de la secrétaire d'Etat, Condoleezza Rice, ont annoncé qu'une deuxième conférence se tiendrait en avril, au niveau ministériel cette fois-ci, et que les Etats-Unis y participeraient. D'autre part, le porte-parole du département d'Etat, Sean McCormack, a précisé, mercredi, que cette réunion ministérielle se tiendrait probablement «dans la première moitié du mois d'avril» en Turquie. Une conférence ministérielle qui, à l'évidence, aura plus de «compétence» pour prendre des décisions que n'en a celle au niveau des ambassadeurs. La délégation américaine, à la réunion d'aujourd'hui, qui sera dirigée par l'ambassadeur des Etats-Unis à Baghdad, Zalmay Khalilzad, comprendra, également, le conseiller de Mme Rice sur l'Irak, David Satterfield. D'ailleurs, celui-ci n'a pas fait mystère des intentions américaines en indiquant que l'Iran et la Syrie «vont se retrouver dans la situation où ils devront répondre (à ces accusations), non au cours d'un échange bilatéral mais au cours d'une conférence multilatérale dont l'Irak sera le centre». Dès lors, si la solution pouvait venir de Téhéran, pourquoi pas? Mais cela reste plutôt illusoire quand Washington compte surtout utiliser cette (ces) tribune(s) internationale(s) pour mettre l'Iran en accusation dans le drame irakien et enfoncer le clou sur la question controversée du nucléaire iranien. Pour la Maison-Blanche, la conférence de Baghdad serait, alors, seulement le prétexte tout trouvé pour focaliser sur l'Iran, responsable à en croire les porte-parole de l'administration Bush, du surcroît de violences et de tensions en Irak, Washington tentant même d'accréditer la thèse selon laquelle Téhéran entraînerait des milices chiites et leur fournirait des armes et des explosifs, l'armée américaine exhibant même la semaine dernière des armes qui «porteraient» la marque de fabrique iranienne. L'un dans l'autre, et dans l'état actuel de la situation sécuritaire et politique en Irak, la conférence de Baghdad aura uniquement le mérite d'avoir existé et il est peu probable que les ambassadeurs conviés à la réunion aient les compétences et pouvoirs nécessaires pour faire avancer le contentieux irakien. De fait, dans la guerre verbale que se livrent Américains et Iraniens, ces derniers, par la voix de l'important religieux, l'ayatollah Ahmed Janati, ont accusé, hier, les Etats-Unis d'être «co-responsables» du sang chiite versé en Irak, lors du prêche du vendredi, retransmis par la radio iranienne. «Lorsque des milliers de pèlerins, a-t-il affirmé, se rendent à pied, parfois pieds nus, à Kerbala et tout à coup une bombe explose, tuant et déchiquetant des centaines de gens, les Etats-Unis sont co-responsables du sang versé».