La France aurait-elle peur que Sonatrach devienne, à l'horizon 2010, le deuxième fournisseur de gaz sur le marché européen? La visite que devait effectuer le ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, jeudi en France, vient d'être annulée sans que les raisons ne soient précisées. Invité par le président-directeur général de Gaz de France (GDF) Jean-Frangois Cirelli, Chakib Khelil devait prendre la parole devant le Sommet du pétrole organisé par l'Institut français du pétrole et s'entretenir avec les dirigeants de GDF de coopération algéro-frangaise en matière de gaz. En outre, M.Khelil devait visiter le terminal de regazéfication de Montoire Bretagne, comme annoncé sur ces mêmes colonnes par l'ambassadeur de France, Bernard Bajolet. En effet, dans le cadre de son projet d'internationalisation de ses activités, Sonatrach veut commercialiser du gaz en propre sur le marché français, à travers une filiale en voie de création et dont l'inauguration devait avoir lieu jeudi. En effet, pour s'adapter aux nouvelles données du marché énergétique, Sonatrach a initié de grands projets structurants reconnus «d'intérêt régional prioritaire» par l'Union européenne. Une éventualité, devant devenir effective, avec l'accord ayant permis à Sonatrach de réserver une capacité d'un milliard de m3 de gaz dans le terminal de Montoir. Cependant, avec l'annulation de la visite de Chakib Khelil en France, les tractations risquent d'être reportées aux calendes grecques, notamment après que le ministre ait déclaré, samedi, au forum d'El Moudjahid souhaiter que l'Algérie bénéficie, en termes de distribution de gaz sur le marché européen, des «mêmes traitements que les compagnies étrangères qui activent en Algérie». C'est-à-dire de «réciprocité». Selon M.Khelil, Sonatrach qui ambitionne de distribuer directement sa part dans le projet Medgaz a vu son quota plafonner à 35% en deçà des 60% autorisés et appliqués aux autres (43) distributeurs. Pourtant, le candidat UMP, Nicolas Sarkozy, avait déclaré, plutôt une fusion Gaz de France-Suez, «préférer un partenariat» entre GDF et Sonatrach pour «sécuriser l'approvisionnement de la France et des Européens en gaz». En outre, il est probable que les autorités françaises n'aient pas toléré les propos de Chakib Khelil affirmant que «la France n'a, jusqu'à présent, pas présenté des propositions concrètes» de partenariat dans l'énergie nucléaire avec l'Algérie. «Nous sommes disposés à une coopération avec la France, mais pour le moment nous n'avons pas de propositions concrètes», a-t-il noté. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, avait déclaré en date du 28 février, lors de sa conférence de presse internationale, avoir déjà proposé à Alger «un accord de coopération dans le nucléaire civil en échange d'un partenariat sur l'exploitation des champs gaziers». L'intérêt commercial de la France, dont 14,8% des approvisionnements de gaz viennent d'Algérie, est évident. Aussi, il n'est pas exclu de dire que la France ait refusé la proposition algérienne d'augmenter ses parts de marché en tant que distributeur à la suite de l'ouverture complète des marchés européens de l'énergie à la concurrence. L'intérêt pour Sonatrach de vendre en direct du gaz en Europe est de capter la plus-value de l'aval. Cela signifie qu'un nouveau rival très puissant concurrencera bientôt Gaz de France. Pourtant Sonatrach relativise ses ambitions en précisant qu'elle souhaitait seulement apporter un peu plus de concurrence, sans «devenir un grand acteur de la distribution de gaz en Europe». La France aurait-elle peur que Sonatrach devienne à l'horizon 2010 le deuxième fournisseur en gaz sur le marché européen après la Norvège et à égalité avec la Russie en portant à 16 milliards de m3 le gazoduc Medgaz. Tout porte à le croire. Pourtant, l'exemple Gazprom incite à la prudence et les capitales européennes ont intérêt à lorgner la Sonatrach, un distributeur sûr et qui permet de pallier les «défaillances» russes. Autant dire que le rapport de force énergétique en Europe joue largement en faveur de Sonatrach. Mais parfois, la raison politique surplombe l'économique.