C'est dans les bidonvilles d'Alger et de Casablanca qu'Al Qaîda au Maghreb recrute ses bombes humaines. Un paramètre à prendre en considération dans la lutte antiterroriste. Et ce sont les intérêts américains qui sont visés en premier. Un degré de plus dans la violence au Maghreb: deux kamikazes marocains se sont fait exploser, hier samedi, près du consulat général des Etats-Unis à Casablanca, blessant une passante. Cet attentat suicidaire a coïncidé avec la mise en garde de l'ambassade des Etats-Unis en Algérie contre de nouveaux attentats, trois jours seulement après des attaques terroristes qui ont fait 33 morts à Alger et qui visaient le Palais du gouvernement et un commissariat à Bab Ezzouar. A Alger, c'est le symbole du pouvoir central qui a été la cible et à Casablanca, ce sont les intérêts américains qui sont dans le collimateur des terroristes, désormais placés sous la coupe d'Al Qaîda. L'organisation d'Oussama Ben Laden recrute ses kamikazes dans les bidonvilles, et cela veut tout dire. Ces recrues, vendeurs à la sauvette à Bachdjarah comme Oudina Merouane, accro à l'alcool et trafiquant de drogue et multirécidiviste, vivent dans les bidonvilles situés à la périphérie des grandes villes comme Alger ou Casablanca. C'est également dans le bidonville de Sidi Moumen, dans la périphérie de Casablanca, que les services de sécurité ont arrêté, dans la journée d'hier, le chef du groupe responsable des explosions du 11 mars dans un cybercafé et du 10 avril. «Les premiers éléments de l'enquête sur ce criminel, a annoncé la police criminelle, mais dont l'identité n'a pas été révélée, ont permis l'arrestation, notamment de son adjoint et la découverte de planques et de caches où les terroristes fabriquaient des explosifs.» Ils ont permis également l'identification du reste des membres de toute la bande, qui sont activement recherchés. On sait tous que, de tout temps, les problèmes sociaux servent de terreau à la prolifération des délits et des petits trafics. Et c'est malheureusement là que se forment les grands criminels, tant il est vrai que «celui qui vole un oeuf vole un boeuf». Une pépinière, une école.. Des quartiers oubliés par le pouvoir central. Existe-t-il une police de proximité dans ces quartiers en proie à la pauvreté, à l'insalubrité, à la délinquance, à l'absence d'équipements sociaux? Si l'Etat a déserté ces lieux, c'est Al Qaîda qui prend le relais, en fournissant la drogue et les moyens d'endoctrinement. Cette situation de désespérance, qui est mise à profit par Al Qaîda, explique le mode opératoire qui est choisi: celui des bombes humaines. Vous prenez un jeune désespéré, délinquant, multirécidiviste, accro à la drogue et/ou à l'alcool, et vous lui faites miroiter le paradis. Il devient une proie d'autant plus facile et prête à se faire exploser qu'il a été préparé psychologiquement et physiquement à commettre cet acte innommable, qui consiste à se donner la mort tout en semant la mort autour de lui. La lutte implacable qui a été menée par l'Etat et les services de sécurité, tout au long de la décennie 90 contre le terrorisme, a été parachevée par un traitement politique, qui a consisté à enlever la couverture idéologique aux groupes terroristes grâce à la réconciliation nationale. Quelque part, c'est un aveu de faiblesse de la part des groupes terroristes que de recourir à la méthode des attentats suicide, mais en même temps, ce nouveau mode opératoire indique que l'effort formidable qui a été consenti par le biais de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale s'avère maintenant insuffisant. Puisqu'il s'agit, aussi, à l'avenir, de parvenir à éradiquer à jamais ces poches de pauvreté et de misère sociale dans toute l'acception de l'expression, pour ne plus fournir à Al Qaîda de gisement de recrutements. En Algérie comme au Maroc, existent malheureusement ces verrues que sont les bidonvilles, et qui défigurent les cités. On peut les cacher un temps, mais ils finissent toujours par ressurgir avec la violence qui les caractérise. Mardi dernier, dans ce quartier populaire de la capitale économique marocaine, ce sont trois kamikazes qui ont fait exploser leurs charges, alors qu'un quatrième a été abattu avant d'actionner ses explosifs. Le mode opératoire choisi est, à la fois, une fuite en avant de la part des groupes terroristes, puisqu'ils indiquent par là qu'ils ont perdu le soutien populaire dont ils ont bénéficié au début des années 90 (l'ex-FIS vient d'ailleurs de condamner les derniers attentats d'Alger), et un avertissement aux services de sécurité d'un côté, mais aussi à l'Etat, en tant que puissance publique de l'autre pour résoudre les problèmes sociaux et la révolte sociale qui couve dans les bidonvilles. Reste le dernier point: l'attaque contre les intérêts américains. On sait tous qu'Al Qaîda est l'ennemi juré de l'Amérique, bien avant les attentats du 11 septembre 2001. Là, nous avons la confirmation au Maghreb. Non seulement l'ambassade américaine a mis en garde ses ressortissants contre des attentats terroristes programmés pour, hier samedi, à Alger, mais en plus au Maroc, ce sont le consulat américain et le Centre culturel américain (Dar América) qui était la cible des terroristes. Par ces actes, les djihadistes maghrébins veulent donner un sens à leur action, en l'inscrivant dans le cadre de la recrudescence des opérations d'Al Qaîda au Maghreb. Pour Mohamed Drafi, professeur à l'université de Mohammadia, au Maroc, les terroristes visent bel et bien les intérêts américains. Il en veut pour preuve le fait que ces kamikazes ne se sont pas fait exploser dans un lieu bondé de civils mais dans une zone peu fréquentée près du consulat général des Etats-Unis. Bien entendu, il n'est pas à exclure que ces attentats sont un peu ceux de la bête aux abois, après les assauts des services de sécurité à Béjaïa et ceux des services marocains dans le bidonville de Moumen. Le fait que la région du Maghreb soit devenue le nouveau théâtre des opérations pour Al Qaîda, a amené les dirigeants de la région à multiplier les réunions de coordination et à échanger les informations. Après la lettre envoyée par M.Bouteflika au président Ben Ali, dans laquelle il l'engageait à une coopération plus étroite dans la lutte contre le terrorisme, c'est au tour du roi Mohammed VI, dans une lettre reçue par le président Bouteflika, d'exprimer le même souhait. Le terrorisme n'a plus de frontière.