Malheureusement, le constat dressé par la corporation est plutôt négatif Les journalistes algériens, à l'instar de leurs collègues de par le monde, célèbrent aujourd'hui la Journée mondiale de la liberté de la presse. C'est l'occasion de s'arrêter et de faire son bilan pour certains, et de se remettre en cause pour d'autres. Il est admis par tous que de par son métier, le journaliste parle des problèmes de tout le monde, sauf des siens. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cela demeure tout de même une vérité absolue. Ainsi, l'occasion nous est offerte pour approcher ceux qui travaillent dans l'ombre et avoir leur avis sur la situation de la corporation en Algérie. Quel constat faites-vous de la liberté de la presse chez nous? «Il faut plutôt parler de la liberté de ton, oui. Elle est là, et flagrante même» estime, non sans amertume, Abdelkrim Ghezali, directeur de rédaction de La Tribune. Notre interlocuteur brosse un tableau peu reluisant de la situation de la presse en Algérie. «Nous avons des potentialités, certes, mais on n'a pas su les capitaliser» constate-t-il. «Nous n'avons pas su préserver ou sauvegarder les acquis durement arrachés. Tout le travail de longue haleine qui a été fait auparavant tend à partir dans le vent» ajoute M.Ghezali. Notre interlocuteur est en outre catégorique: «Tant qu'on n'a pas de Conseil d'éthique et de déontologie qui régit la profession; tant qu'on n'a pas de syndicat libre, n'appartenant de surcroît à aucun parti politique, un syndicat souverain dans ses décisions, on ne peut jamais parler de la liberté de la presse». A entendre des propos pareils, d'aucuns diront que cela n'atteste que d'un pessimisme démesuré, mais en réfléchissant, on s'aperçoit que ce constat ne reflète que la réalité du journaliste algérien. «La presse algérienne est l'une des plus libres, et des plus primitives aussi» tranche le directeur de rédaction de La Tribune. Le constat est le même pour Fayçal Metaoui, rédacteur en chef à El Watan. Ce dernier estime qu'il est du devoir de l'Etat de «dépénaliser l'acte d'écrire». En effet, le journaliste algérien est aujourd'hui soumis à l'un des codes pénaux des plus draconiens. Le rédacteur en chef d'El Watan estime en sus, que la corporation devra mieux s'organiser. Néanmoins, pour lui, cela ne peut se faire en l'absence d'un véritable Conseil d'éthique et de déontologie qui définira les limites auxquelles le journaliste algérien est soumis. Fayçal Metaoui n'omet, en outre, pas de citer les conditions difficiles, voire pénibles, dans lesquelles travaillent les journalistes en Algérie. Sous-payés, surexploités, sans assurance, voilà la situation où sont réduits aujourd'hui ceux qui s'échinent quotidiennement à vous transmettre l'information. Par ailleurs, le directeur de publication du quotidien arabophone, Ech Chourouk El Youmi, M.Ali Fodil, dresse, lui un constat des plus négatifs. «La situation de la liberté d'expression en Algérie est en nette régression» affirme-t-il. Son constat se base, en effet, sur le nombre de plaintes déposées par différentes parties contre son journal. Le cas le plus édifiant est l'affaire opposant ce quotidien au Guide de la révolution libyenne, le colonel Moamar El Gueddafi. «Heureusement que la cour d'appel a atténué la condamnation en éliminant la suspension du journal, mais la peine demeure toujours présente». Pour améliorer la situation de la presse en Algérie, Ali Fodil propose «l'élaboration d'un nouveau code de l'information susceptible de préserver la liberté d'expression». La problématique de l'accès à l'information est un autre volet soulevé par le directeur de publication du journal Ech Chourouk. Il est, selon lui, la source des poursuites judiciaires auxquelles sont soumis plusieurs journalistes algériens. Le directeur de rédaction du Soir d'Algérie, M.Belhadjoudja, ne se fait pas d'illusions: «la liberté d'expression en Algérie est en net recul». Pis encore, il estime que «nous entamons un tournant décisif: soit qu'on continue dans la voie actuelle, ce qui signifie automatiquement que nous nous mettons dans la gueule du loup, soit qu'on change et, dans, ce cas, il faut assumer». Pour notre interlocuteur, les journalistes algériens tendent à confondre entre professionnalisme et neutralité. «Ces deux concepts ne se rencontrent jamais, je dis même qu'il est inconcevable de les lier». Toutefois, M.Belhadjoudja pense qu'aujourd'hui, il faut qu'on ait une presse plutôt responsable. Et ce but, «on ne peut l‘atteindre sans se pencher sur l'un des problèmes que nous rencontrons, à savoir le manque flagrant de formation dont souffrent les journalistes algériens» estime le directeur de rédaction du Soir d'Algérie.