Kouchner est venu avec ses gros sabots revendiquer le droit d'«ingérence humanitaire». «Les réserves du pétrole dans la province du Darfour sont estimées à 20 milliards de barils», a indiqué l'ambassadeur du Soudan à Alger, Haïder Hassen, lors d'une conférence de presse animée hier au centre de presse d'El Moudjahid. «Il s'agit de pétrole de très bonne qualité, le ABI 3.4, ainsi que d'une réserve en gaz estimée à 13 milliards de mètres cubes, en plus de réserves d'uranium, de cuivre, de coton et d'un élevage aux environs de 132 millions de têtes», ajoute-t-il. «Ce sont là les raisons qui font courir les USA et derrière eux la Grande-Bretagne; les motifs de l'humanitaire ne sont que des arguments parce que leurs études stratégiques considèrent que la région du Moyen-Orient n'est pas assez sécurisée; ils cherchent, en conséquence, d'autres réserves». Voilà, en somme, la thèse soudanaise sur le conflit du Darfour. Genèse. Le diplomate du Soudan remonte au tout début des origines du conflit. La province du Darfour, d'une superficie de 570.880km2, soit les 20% du Soudan, se situe près de la Corne africaine, où vivent 5 millions d'habitants, regroupe 96 ethnies qui communiquent entre elles en langue arabe. Elles sont constituées d'agriculteurs et de nomades. Ces tribus ont connu des guerres pour l'eau et le fourrage. Mais depuis le conflit du Tchad avec la Libye, dans les années 80, beaucoup d'armes ont circulé dans la région. Israël a distribué 50.000 armes, entre 2000 et 2003, au point où chaque personne se retrouve aujourd'hui détentrice d'une kalachnikov. Le premier noyau de rébellion a vu le jour en 1990 sous le commandement d'un jeune «aventurier» Yahia Belad qui a rejoint ensuite John Garang. Sa condamnation puis son exécution par le pouvoir central de Khartoum ont ouvert la voie à une vaste désobéissance. Le gouvernement Al-Béchir s'est installé en 1989, rappelle-t-il. En 2002 est né le Mouvement de libération du Darfour (MLD) suivi par le Mouvement de libération du Soudan (MLS) puis par le Mouvement de la justice et l'équité (MJE) conduit par Khalil Ibrahim en 2003. En 2006, l'ONU a conclu un accord avec une seule faction du conflit, à savoir le MLD. Le MLS n'a pas paraphé cet accord. Mais le MLD a exigé de Khartoum des compensations matérielles très élevées, difficiles à satisfaire. La guerre ethnique a provoqué des exodes massifs qui ont créé les «camps de réfugiés». Sous la pression américaine et britannique, l'ONU a mis au-devant la question humanitaire en mettant ainsi le Soudan au pied du mur. Mais les amis du Soudan n'ont pas usé du droit de veto. Il s'agit de la Russie et de la Chine. Entre novembre 2004 et octobre 2006, le Conseil de sécurité a voté 17 résolutions rien que pour le Darfour, dont les 1593 et 1591, à une semaine d'intervalle. La 1556 exige de Khartoum le désarmement des tribus en un mois. Le seul aspect positif de l'ingérence étrangère se limite à l'aide humanitaire, sinon toutes les résolutions ont été «très sévères» envers le gouvernement Al-Béchir. Le 31 août 2006, la section 7 du Conseil de sécurité pond la résolution 1703, exécutable avant le premier octobre et qui prévoit la mise ne place d'une force hybride ONU-Union africaine, à laquelle Khartoum a donné son accord mardi dernier, de 20.000 hommes. L'ONU a présenté un plan en trois phases. La première consiste à envoyer 138 experts dont 105 militaires. La deuxième l'élargit à un chiffre allant de 1200 à 1500 experts et la troisième prévoit l'envoi de la force hybride sus-indiquée. Sauf que Khartoum estime qu'on ne pouvait passer à la seconde phase sans avoir soldé la première. Avant qu'un accord ne soit trouvé, le gouvernement soudanais a proposé le renforcement des forces africaines déjà sur le terrain. Le 25 mai dernier, Kahrtoum a accepté la formule d'Addis Abéba. Mais quatre jours plus tard, les Américains décident d'imposer de nouvelles sanctions économiques contre Khartoum. Puis arrive Bernard Kouchner avec ses gros sabots. Il visite le Soudan et prend une initiative sans consulter Khartoum. Le chef de la diplomatie de Sarkozy -que Khartoum avait auparavant arrêté alors qu'il était entré clandestinement au Soudan, à l'époque où il était président de Médecins sans frontières- propose une conférence sur la paix au Darfour le 25 juin prochain à Paris. Khartoum a rejeté cette proposition française estimant qu'elle n'apporte rien de nouveau et que trop d'initiatives ne feront qu'éparpiller les efforts en vue de trouver une solution pacifique à la question du Darfour. Le conférencier voyait ainsi apparaître, sous le manteau de Sarkozy, un Blair en herbe qui envoie son éclaireur briser tout sur son passage comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.