L'ambassadeur du Soudan à Alger, Ahmed Hamed El Faki, affichait une grande sérénité, hier, en intervenant au Centre international de presse d'El Moudjahid pour parler de ce qu'il convient désormais d'appeler « l'affaire Omar El Béchir ». Devant un aréopage fourni de journalistes et de représentants de certaines associations et formations politiques, il a fait montre de beaucoup de détachement au moment où le président soudanais affronte l'une des épreuves les plus délicates de son parcours : le mandat d'arrêt lancé contre lui par la CPI. Cinq jours sont maintenant passés depuis l'émission de ce mandat, avec menace de procéder à l'arrestation du général Omar Hassan El Béchir à la première occasion. D'emblée, l'ambassadeur du Soudan annonce que son pays n'est guère concerné par cette décision dans la mesure où « le Soudan ne reconnaît pas la Cour pénale internationale ». « Par conséquent, cette juridiction n'a aucune autorité sur aucun citoyen soudanais », affirme M. El Faki. Dans une déclaration en sept points, le chef de la mission diplomatique soudanaise à Alger martèle que « ce mandat est une insulte à la dignité et à la souveraineté du Soudan ». Il estime que la CPI est une création impérialiste qui est entre les mains de puissances dont l'objectif inavoué est de « spolier le Soudan et piller ses richesses considérables ». M. El Faki souligne, par ailleurs, que cet acharnement sur le Soudan trahit un « conflit stratégique entre la France et les Etats-Unis notamment ». Il dénonce aussi le « rôle déstabilisateur » d'Israël, qui « vise à atomiser les forces influentes du monde arabe ». A l'appui de ses thèses, Son Excellence indique que Abdelawhid Mohamed Nour, le chef rebelle darfouri qui dirige le Mouvement de libération du Soudan (SLA) est « établi à Paris et entretient des relations étroites avec Israël ». Un document intitulé Le rôle juif dans l'affaire du Darfour a, en outre, été distribué à l'assistance. Commentant le mandat émis par la CPI, M. El Faki fait remarquer que le procureur Luis Moreno-Ocampo « n'a jamais mis les pieds au Soudan ni au Darfour, se fondant exclusivement sur les témoignages de gens hostiles au gouvernement soudanais ». Il a déploré au passage la politique du deux poids deux mesures de la CPI qui « ne tient pas compte de ce qui s'est passé à Ghaza, en Irak, en Afghanistan en dépit des violations flagrantes du droit international, ce qui prouve que cette affaire revêt un caractère strictement politique ». Des ONG accusées d'espionnage Concernant l'épineux dossier du Darfour, l'ambassadeur du Soudan a insisté sur le fait que la justice soudanaise est parfaitement compétente pour enquêter sur les crimes commis dans cette province, qui ont fait 300 000 morts selon l'ONU. Lui parle de « 9000 à 10 000 morts ». Il a évoqué à ce propos la création d'un tribunal spécial Darfour en juin 2005. Revenant sur la genèse de la crise du Darfour, l'ambassadeur dira : « C'est un conflit qui existe depuis la nuit des temps dans cette région ; il oppose régulièrement bergers et agriculteurs. C'est l'ingérence de parties étrangères qui lui a donné toute cette proportion. » « Cinquante ans de conflit, le problème du Sud Soudan n'a pas été posé devant le Conseil de sécurité de l'ONU et l'on a fini par le régler dans un cadre soudanais et africain. La question du Darfour est arrivée sur le bureau du Conseil de sécurité en à peine trois ans, tout cela à cause de l'ingérence étrangère. » Dans la foulée, M. El Faki n'a pas manqué de clarifier l'attitude de son pays qui a décidé d'expulser pas moins de 13 ONG internationales. Ces organisations sont avant tout accusées d'avoir livré l'essentiel de la matière sur laquelle s'est basé le procureur argentin de La Haye, Luis Moreno-Ocampo, pour constituer son dossier. L'ambassadeur a également accusé certaines d'entre elles, sans les citer, de s'être livrées à des activités d'espionnage en prenant des photos de sites militaires ou classés sensibles, lesquelles informations auraient servi les factions rebelles. Autre grief : certaines parmi ces ONG mèneraient, selon le diplomate soudanais, des « campagnes d'évangélisation auprès d'une population majoritairement musulmane ». Qu'en est-il des conséquences de cette expulsion massive des travailleurs humanitaires du Darfour ? « Avec le départ des ONG, 1,1 million de personnes seront sans nourriture, 1,5 million de personnes seront sans soins de santé et plus d'un million sans eau potable », avait prévenu la porte-parole du bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU, Elizabeth Byrs. L'ambassadeur du Soudan n'en démord pas : « Il y a une centaine d'organisations humanitaires qui continuent à travailler sur le terrain et le gouvernement soudanais va tout faire pour venir en aide à ces populations en difficulté. » Maintenant, concrètement, que va-t-il se passer ? C'est le wait-and-see qui semble se profiler. Ahmed Hamed Al Faki avertit sur les retombées de ce mandat sur la stabilité du Soudan et de la région par ricochet, mandat dont le timing, insiste-t-il, est très mal choisi. « Cela intervient au moment où un processus de paix est engagé à travers les négociations de Doha en vue de parvenir à un accord global sur le Darfour », regrette-t-il, avant de lancer : « La question du Darfour est une question politique et son règlement sera politique, dans un cadre soudano-soudanais. » A cela s'ajoute le processus démocratique qui, selon lui, est en bonne voie « avec les élections générales qui vont se tenir prochainement ». Interrogé sur l'avenir immédiat du président Omar El Béchir, il dira simplement : « Il est tôt de répondre à cette question. En tout cas, le Soudan reste serein. » Il compte sur les pays « frères et amis » pour faire pression sur le Conseil de sécurité en vue d'actionner l'article 16 des statuts de Rome qui régit la Cour pénale internationale et qui prévoit la possibilité de suspendre la décision de la CPI pendant une année afin de pouvoir réexaminer l'affaire.