Ali Yahia Abdenour, Belaïd Abdesselam, Ahmed Taleb Ibrahimi, Khaled Nezzar, les hommes politiques réécrivent les scénarios auxquels ils ont participé en tant qu'acteurs. L'été 2007 restera sans doute dans les annales, et jusqu'à nouvel ordre, comme celui des révélations faites à travers des livres. Belaïd Abdesselam, et c'est une première, vient de mettre sur le Net un livre brûlot dans lequel il règle ses comptes avec des hommes forts du pouvoir, à l'époque où il était chef de gouvernement. L'Internet permet de mettre le livre à la portée du plus grand nombre. Maitre Ali Yahia Abdenour a déjà édité un livre intitulé La dignité humaine aux éditions Inas. On annonce, pour bientôt, le livre du docteur Ahmed Taleb El Ibrahimi, intitulé Les Années Boumediene. On rappellera que le général Khaled Nezzar a, lui-même, publié plusieurs ouvrages sur les années où il était aux avant-postes, en tant que ministre de la Défense et en tant que membre du Haut conseil d'Etat (HCE). Il était alors considéré comme l'homme fort du moment. Il a eu, à ce titre, à prendre des décisions déterminantes. Même s'ils abordent des sujets qui fâchent, ces livres en fait, apportent, également, des éclairages pour comprendre la manière dont les événements se sont agencés, et quel a été l'apport des uns et des autres. Il ne fait aucun doute que M.Abdesselam ne jette pas seulement un pavé dans la mare. Il apporte surtout des réponses à des questions qui ont été posées à un moment donné. Pourquoi les choses se sont passées comme cela et pas autrement? Quelle est la part de chacun? Quelles sont les mobiles et les arguments qui ont pesé dans la prise de décision? En effet, beaucoup de choses se passaient dans les coulisses. Il y a eu, dans cette période trouble de l'histoire du pays, télescopage d'événements, conflit d'intérêts et confrontation entre deux projets de société. Il fallait non seulement faire face au péril insurrectionnel, empêcher l'Etat de se désintégrer, la société d'entrer dans la guerre civile, mais il fallait également répondre à l'approvisionnement du pays en denrées de première nécessité, alors que les caisses du Trésor public étaient vides. On sait, évidemment que le système brutal et plutôt musclé du mode de gouvernement, en Algérie a produit des hommes politiques qui n'ont pas d'état d'âme. Formés à l'école de Machiavel, ils cultivent, y compris après avoir quitté leur fonction, ou leur poste, ce goût du secret qui fait la spécificité du système politique algérien. Il faut donc saluer ce réflexe sain qui pousse ces hommes politiques à livrer leurs réflexions ou leurs secrets à l‘opinion. Dans les pays développés, la réflexion précède l'action. Sinon, elle l'accompagne. Et l'on a des hommes politiques qui exposent dans des ouvrages leur conception de la chose publique, ainsi que leur programme. Lorsqu'ils ont fini leur ministère, ils écrivent des livres qui sont à la fois un bilan et un testament. Dans ces pays développés, les hommes politiques qui veulent se mettre en orbite commencent par éditer un ouvrage dans lequel ils exposent leurs idées. C'est, en quelque sorte, leur programme et pour eux ce passage obligé fait partie d'un marketing bien étudié. Et du reste, ils sont généralement secondés par des conseillers qui leur donnent des indications sur la manière de mieux se faire comprendre. Chez nous, on écrit après coup. Une fois qu'on a quitté le pouvoir ou le gouvernement... Du reste, dès que l'on parle de l'écriture de l'histoire, on se heurte à ce mur du silence. On n'écrit pas, on ne lègue rien aux générations montantes. On préfère garder le silence et emporter, dans la tombe, des secrets qui auraient, pense-t-on, irrité des sensibilités. A tort bien sûr. Dans la mesure où l'on ne fait pas dans la diffamation, certaines informations méritent d'être portées à la connaissance du public. Bref, les paroles s'en vont mais les écrits restent. Ce sont des choses qui survivent aux événements et aux hommes; tel semble être la nouvelle philosophie des hommes politiques algériens, dont certains ont déjà quitté la scène, soit sur la pointe des pieds, soit contraints et forcés. Lorsque Ali Yahia Abdenour déclare «Ouyahia a fait de moi un SDF», dans son livre, il revient un peu sur les rapports tendus entre les hommes politiques et la chose écrite. Combien d'hommes politiques gardent-ils une trace écrite des événements qu'ils viennent de vivre, y compris dans les actes de gestion? Pensent-ils à ce geste simple qui consiste à transmettre aux générations futures un message, un testament? Au temps de Boumediene, où la censure avait le vent en poupe, il suffisait d'une information concernant la parution d'un livre pour faire jaser dans les chaumières, et tout le pays, en ville comme à la campagne, bruissait de folles rumeurs. Maintenant, grâce à l'Internet, on peut avoir à domicile, l'intégralité d'un livre, sans même se déplacer chez le libraire du coin. Comme un puzzle, des bribes de l'histoire contemporaine, voire récente, algérienne sont distillées, et l'on peut reconstituer, ainsi, ce qui s'est passé. L'histoire s'écrit de cette manière. Il y a les événements bruts, mais il y a tellement de choses qui se passent dans l'ombre ou dans des bureaux feutrés, et si les acteurs ne viennent pas un jour nous dire ce qui s'est dit, quels sont les propos échangés, quelles sont les pressions qui se sont exercées, on ne les connaîtra jamais.