«J'ai été avisé par les services financiers que deux hommes d'affaires bénéficiaient, à eux seuls, de la majeure partie des crédits extérieurs en devises affectés au secteur privé.» L'ancien chef de gouvernement, Belaïd Abdesselam, vient de publier ses mémoires. Pour rétablir certaines vérités sur treize mois à la tête du gouvernement, est le titre de cet ouvrage de 322 pages, 52 annexes et achevé le 1er octobre 2006. Cet ouvrage se veut comme un témoignage, en même temps, qu'une mise au point au général Mohamed Touati. «N'étant inféodé à aucun clan, ni lié à un quelconque groupe d'intérêts et ne disposant pas de relais politiques ou médiatiques en vue de prendre la défense de la politique qui a été la mienne, ou de répondre aux affirmations mettant en cause ma personne ou mes préférences politiques, il ne me reste que le moyen direct de ma plume pour tenter de faire connaître mes points de vue et de communiquer ma vérité...» écrit Belaïd Abdesselam dans la présentation de son ouvrage. La fonction de «Mokh» qu'il (Touati:ndlr) prétend être ou que certains prétendent qu'il est, quelque peu défaillante. Abdesselam n'hésite pas à parler de troubles mentaux chez son «détracteur», avant de rappeler les circonstances qui l'ont amené en 1992 à accepter sa nomination à la tête du gouvernement. Abdesselam revient aussi sur ce 3 juillet 1992 où il avait rencontré Redha Malek, qui l'avait sollicité s'il était prêt à «s'engager dans l'action entreprise sous l'égide du HCE». Une rencontre qui sera suivie, le lendemain, par des consultations avec Ali Kafi et Khaled Nezzar. Il raconte qu'après un tour d'horizon du général Khaled Nezzar sur la situation sécuritaire du pays, il avait émis la proposition de créer une juridiction spéciale pour juger les auteurs de l'insurrection islamiste, tout en accélérant les procédures d'instruction. M.Abdesselam affirme que «contrairement à ce que suggère insidieusement le général Touati, l'idée d'une période transitoire de cinq années, sous la forme d'un régime fonctionnant selon les règles de l'état d'exception prescrit par notre Constitution, alors en vigueur, n'était nullement liée à ma désignation à la tête du gouvernement et à l'existence de ce gouvernement. Il précise qu'il avait émis l'idée de l'instauration de l'état d'exception avant sa désignation à la tête du gouvernement». L'ex-chef de gouvernement sous Kafi fera une autre révélation: les responsables de l'époque avaient fait venir de l'étranger le Dr Ahmed Taleb Ibrahimi, en vue d' «appeler les responsables de l'ex-Fis en activité de calmer le jeu». La réponse fut immédiate: une série de carnages. D'ailleurs, les interlocuteurs de Taleb, lui avaient fait savoir qu'ils n'avaient aucune emprise sur les auteurs de ces exactions commises contre le peuple. En somme, l'acceptation de prendre les rênes du gouvernement, «valait à l'inverse de ce que prétend le général Touati, acquiescement et aval donnés aux idées que j'avais posées et qui allaient servir de base à la définition de la politique de mon gouvernement». Une façon de rappeler que M.Abdesselam avait plus été démis de ses fonctions pour les principes défendus que pour son incompétence. «En aucun cas, je ne pouvais être rendu comptable des fantasmes de ceux qui prennent leurs désirs pour des réalités. Je ne pouvais pas, non plus, être comptable d'instructions imaginaires, conçues peut-être dans certains esprits comme celui du général Touati, mais qui n'ont été formulées sous aucune forme et auxquelles ceux qui en rêvent, considèrent que l'on doit se plier comme par télépathie», indique Abdesselam. Ce dernier n'a pas manqué de revenir sur les grands axes de son programme gouvernemental, comme il a réitéré ses positions quant à la notion, de laïcité de laquelle il ne se revendique pas, car selon lui, c'est une véritable religion nouvelle, sectaire et intolérante, qui engendre une autre forme d'intégrisme, d'une virulence rivalisant avec celle de l'intégrisme islamique. Sur le plan économique, il était question pour M.Abdesselam de résorber la problématique de la dette, «sans recourir aux conditionnalités du FMI» qui étaient d'après lui synonyme «de dévaluation drastique de la monnaie, de libération sauvage du commerce extérieur et de liquidation au rabais du patrimoine économique national». Au chapitre de la lutte contre la corruption il indiquera qu'à l'installation de son gouvernement, «j'ai été avisé par les services financiers que deux hommes d'affaires bénéficiaient, à eux seuls, de la majeure partie des crédits extérieurs en devises affectés au secteur privé.» Des crédits étaient utilisés largement à l'importation de produits destinés à la revente en l'état et non pour des opérations d'investissement. Ce qui n'a pas manqué d'attirer des ennuis à M.Abdesselam. «J'ai mis un terme à ces abus, ce qui m'a valu la hargne déclenchée à mon encontre par la presse liée à ces importateurs privilégiés, ainsi que de la part des groupements politiques dont ils se réclament et que le général Touati prend sous sa protection de manière quasiment ouverte.» Nous reviendrons sur cet ouvrage avec plus de détails.