C'est sans doute grotesque, mais le fait est là: les dirigeants arabes ont failli avoir la surprise de compter parmi eux le ci-devant boucher de Beyrouth qui avait envie de s'inviter au sommet arabe pour parler du «futur d'Israël». Sharon à Beyrouth? C'est du moins ce qu'a laissé entendre un communiqué de la présidence du conseil israélien dans lequel il était dit que Sharon avait informé, hier, le gouvernement avoir fait part au vice-président américain Dick Cheney, lors de son récent passage en Israël, de son «projet de s'adresser au sommet arabe de Beyrouth». Ainsi Sharon aurait déclaré à Dick Cheney: «(...) Alors qu'étaient soulevés les différents plans concernant l'avenir d'Israël (...) j'ai dit au vice-président que, lorsqu'on parle du destin et du futur d'Israël, la chose la plus importante était d'entendre, en premier lieu, la position d'Israël et son programme.» Certes! Le fait qu'un responsable israélien vienne présenter devant une assemblée de dirigeants arabes la position de l'Etat hébreu pouvait être comprise et, même, entrer dans l'ordre des choses, si cette intervention devait contribuer à rapprocher les vues des parties au conflit. Mais de quoi le boucher de Beyrouth pouvait-il entretenir les Arabes, lorsqu'il ne reconnaît aucun droit aux Palestiniens, et surtout il l'a suffisamment rappelé s'oppose à l'érection d'un Etat palestinien aux côtés d'Israël, seule alternative à une paix véritable au Proche-Orient. Cependant, telles ne sont pas les intentions du bourreau de Sabra et Chatila lorsqu'il persiste à assassiner les Palestiniens et à humilier leur président. De fait, Sharon indique bien qu'il voulait parler du «destin et du futur d'Israël» sans un mot sur les moyens de parvenir à la paix avec les Palestiniens. Cela d'autant plus qu'il réitéra au Washington Post qu' «il était impossible pour la survie d'Israël que celui-ci se replie sur les frontières de 1967». Par arrogance, par bravade, Sharon veut, sans doute, joignant le geste à la parole, ainsi défier les Arabes, sûr de son impunité et de la protection inconditionnelle des Américains. Le chef du gouvernement israélien croit-il à la paix négociée, quand, ce qui lui importe, est de mettre au pas les Palestiniens? Sharon n'a-t-il pas mis le président palestinien hors jeu, le maintenant en résidence surveillée à Ramallah, sous la garde des chars israéliens? Avec qui donc Sharon veut- faire la paix? S'il n'a pas encore compris que les Palestiniens, et particulièrement le président Arafat, sont incontournables dans tout processus de paix au Proche-Orient, c'est que soit il ne veut pas admettre les causes de la guerre actuelle, soit que la paix est considérée comme dangereuse par les Israéliens. Sans doute les deux à la fois. En effet, persistant dans son entêtement obtus, Sharon a déclaré hier, à la radio, que Yasser Arafat «n'ira nulle part et ne pourrait sortir des territoires autonomes tant que la violence durerait». Malheureusement, cette obstination suicidaire du Premier ministre israélien est encouragée par la position rien moins qu'énigmatique de l'Administration américaine. De Lima, au Pérou, où il se trouve en visite, le président américain, George W.Bush, est encore revenu sur les conditions d'une éventuelle rencontre entre Arafat et Cheney, consistant, selon lui, en l'arrêt par le président palestinien de la «violence» (sous-entendre l'arrêt de l'Intifadha. Arrêt exclu par les Palestiniens tant que subsiste l'occupation israélienne). Ainsi, les Palestiniens, agressés dans leur chair et dans leurs droits, sont-ils coupables de se défendre quand l'agresseur israélien est conforté dans son intransigeance par le parti pris américain? De fait, même si c'est juste un gag, en pensant aller à Beyrouth, Sharon, obéissant en réalité à la seule logique israélienne, méconnaît autant les droits palestiniens que les diverses résolutions de l'ONU et autres accords du processus de paix qui tous ouvrent la voie à une paix véritable pour peu qu'Israël condescende, enfin, à honorer son engagement d'Oslo, à appliquer les résolutions onusiennes toutes propices à l'instauration de la paix. Tout cela est sans doute trop simple pour les Israéliens qui veulent demeurer les premiers et derniers décideurs en ce qui concerne le Proche-Orient. En d'autres termes, Israël est-il un Etat hors normes auquel les lois et droits internationaux ne s'appliquent pas? C'est du moins ce que semble penser Sharon qui a failli s'inviter à Beyrouth pour expliquer aux Arabes les contours de la paix israélienne.