Dans ce monde moderne, trouble et marqué par tant d'incertitudes, jeûner, prier et bien agir, garder nos repères est une alchimie du bonheur. Le mois de Ramadhan prend fin. Jeûner, prier et bien agir sont indissociables pour garder l'équilibre. Nous sommes dans les derniers instants du mois sacré de Ramadhan. Ceux où le Prophète (QSSL) multipliait les prières et s'isolait dans sa Mosquée pour intensément adorer Dieu. Qui appréhende les aspects spirituels et civiques de ce mois et retient ses leçons pour l'après-Ramadhan? La lumière du Prophète continue à briller dans le coeur des croyants sincères, ses héritiers, les bels agissants, el mouhessinin, qui se prosternent face à Dieu et disent «Paix» à tous ceux qui les interpellent. Mais combien sont-ils ceux qui vivent spirituellement et culturellement ce pilier de la foi et non point de la simple privation et des énervements et autres glissements incorrects? Qui se souvient que le musulman dit «Au nom de Dieu», Bismillah, avant toute parole et acte pour l'affirmation de l'humilité et du rattachement sacré à l'Origine? C'est la station du dhikr, la mémorisation. Il prononce aussi les mots «Louange à Dieu», Hamdoullah, pour exprimer sa reconnaissance, station des chakirine. Il ne manque jamais de dire «si Dieu veut», Incha'Allah, pour marquer sa confiance en Dieu. Station des mutawakillin. La Nuit du destin, durant ces dix derniers jours du mois de Ramadhan, qui vaut mille mois, Leïlat el Qadr, éclaire les âmes pieuses. Le musulman a pour mission de témoigner spirituellement en vérité, en paix, en être ouvert: que la vie est épreuve, belle, sacrée et tournée vers l'au-delà du monde. Puissions-nous être à la hauteur de cette épreuve et honorer la vie sur terre, en gardant ouverts nos coeurs et en donnant l'exemple du civisme. C'est en nous que se trouve le secret. Le fanatisme, l'extrémisme et l'anarchie sont l'anti-Islam. La religion musulmane est déformée, incomprise et méconnue. Des apprentis sorciers et des usurpateurs l'instrumentalisent et d'autres ignorants dépersonnalisés ajoutent à la confusion à son sujet. Le monde entier nous observe et certains amplifient nos dérives internes pour nous isoler. Il est urgent de prendre la parole et tenter d'expliquer que croire et s'engager dans le monde moderne pour le progrès est une nécessité de toujours. Le Ramadhan, temps de la méditation et théoriquement du civisme, doit conditionner l'après-Ramadhan. Les trois paroles Qu'appelle-t-on un musulman? Etre religieux, être de raison, être de nature, tel est le musulman, qui a pour tâche d'accomplir l'idéal de l'homme universel, el insan kamil, à l'image du Prophète (QSSL). La spiritualité vraie a pour but de favoriser l'équilibre, la réflexion et la sérénité et non l'ignorance, l'arrogance et l'intolérance. Apparemment, au vu des comportements infantiles et irrationnels, l'éducation de nombre de citoyens est à refaire. Il y a lieu de leur rappeler les points de repères fondamentaux. Bismillah, hamdoullah, Incha'Allah, le sens de ces trois paroles ouvrent par exemple ce chemin. Dans ce monde moderne, trouble et marqué par tant d'incertitudes, jeûner, prier, et bien agir, garder nos repères, à partir de ces trois paroles de foi, est une alchimie du bonheur. Tout en sachant que rien n'est donné d'avance. Continuons à témoigner dans l'ouvert, serein et vigilant, afin de ne pas être surpris par le caractère imprévisible de la vie. Croire, c'est s'ouvrir et non pas se fermer, pour se souvenir de l'Origine, se projeter dans l'avenir et apprendre à vivre ensemble. La générosité du croyant s'affirme, théoriquement, à chaque instant. Accueillir les autres, leur exprimer notre compassion et souci de comprendre, est une qualité du croyant. Par le savoir et la connaissance de soi, du monde et des autres, se révélera ce qui est requis de nous. Egoisme, individualisme et affaiblissement du sentiment d'appartenance à la patrie sont le lot de certains qui instrumentalisent la religion, devenue un refuge idéologique, par peur du mouvement et de l'ouverture. Tout comme certains considèrent que la religion est un mythe et une fiction. Ne jamais oublier les trois paroles, sources de nos valeurs spirituelles et civilisationnelles. Ni les tenants de la fermeture, ni ceux de la dilution ne représentent le juste milieu, la ligne médiane. Il n'y aucun avenir sans un enseignement et un savoir fondés sur l'ouvert et la volonté de vivre ensemble dans la coexistence. La crise du monde moderne d'un côté et celle des sociétés du Sud de l'autre nous obligent à bien réfléchir sur comment réaliser l'authenticité et la modernité. Trois dimensions essentielles sont les fondements du bonheur ou simplement du progrès: la logique, la justice et le sens. Si, pour le premier point, la logique, il y a des acquis inestimables qui ont permis l'élévation de la condition humaine, grâce à la recherche en sciences de la vie, exactes et technologiques, par contre, pour les deux autres points, justice et sens, les insuffisances et les contradictions restent importantes. Le savoir moderne et les sciences humaines et sociales ont encore bien du travail. Les traditions culturelles ne peuvent se contenter de répétitions, elles doivent s'ouvrir à la marche du temps et se réformer. Il nous faut, en conséquence, êtres humbles, et ne pas s'imaginer avoir seuls, au Nord comme au Sud, en Orient et en Occident, les clés du progrès et de la cité idéale. Surtout qu'il y a des orients et des occidents. Mais la ligne dominante en Occident, malgré des résistances internes et des critiques perceptibles de remise en cause de l'ordre dominant, semble être celle de l'accoutumance aux dérives déshumanisantes de la modernité, aux remises en cause du droit à la différence et aux inégalités. Et la ligne dominante en Orient, malgré la persistance de la culture de la rébellion et de la dignité, semble être celle de l'accoutumance à l'absence de civisme et de démocratie et à la religion refuge ou, pire, à son instrumentalisation par une minorité agissante et obscurantiste. L'autre, l'ennemi L'état préoccupant de nos sociétés et du monde contredit nos prétentions. Les gens du savoir et de la connaissance sont interpellés pour éduquer, dialoguer et réformer en profondeur, en sachant distinguer et discerner. Chacun s'invente des ennemis ou déforme l'image de l'autre pour faire diversion et fuir ses responsabilités. L'Occident évalue aujourd'hui les risques et les menaces en se fondant sur cinq jugements hâtifs et erronés. Le premier jugement qui affaiblit et disqualifie, voire ruine la position sécuritaire et morale de celui qui l'énonce: le terrorisme des faibles est perçu à la fois comme la seule grande menace et comme issu de l'Islam. Amalgame, confusion ou manipulation mortelles et choquantes qui aboutissent à la perte de soutien des musulmans, car constitue une contrevérité, propagée à la fois par ceux qui ont usurpé le nom de l'Islam et par la propagande fumeuse du choc des civilisations. Deuxième jugement infondé: l'incompatibilité supposée de la démocratie et de la sécularité avec la culture arabe et musulmane, contrevérité génératrice d'un sentiment de rejet et de peur. Troisième jugement: la démographie des pays du monde musulman, conçue comme un risque par les pays du Nord, pousse ces derniers à contrôler et à limiter la circulation des populations. Quatrième jugement: l'existence de sources majeures d'énergie dans les terres arabes est perçue comme une menace qui contraint certaines puissances à vouloir contrôler et à exercer leur domination. Cinquième jugement: la proximité, la situation géopolitique et la vitalité de la religion des pays arabes et musulmans sont ressenties comme des occasions de rivalité et une résistance insupportable. Les pays arabes et musulmans considèrent, eux, que les risques et les menaces ont d'autres origines. Premièrement, la tentative d'hégémonie et de domination de puissances occidentales avec, à leur tête, l'administration néoconservatrice des USA et leur politique belliciste constitue la menace principale. Situation aggravée par la politique inique des deux poids, deux mesures à l'encontre des musulmans, dont la situation en Palestine et en Irak est la tragique illustration. Deuxièmement, l'évolution d'un «ordre mondial» fondé sur la loi du plus fort et le non-droit, la violence des puissants, perçue comme danger majeur pour tous les peuples. Troisièmement, la ruine et l'oubli du sens, de l'éthique, de la morale et la marginalisation des valeurs spirituelles. L'exclusion de la religion de la vie et le refus du droit à la différence, qu'impose la logique de l'athéisme, de l'unilatéralisme et de la mondialisation marchande sont une forme de menace majeure qui touche aux fondements de l'humanité. Situation marquée par l'esprit areligieux et l'islamophobie. Quatrièmement, la suprématie de nombreux autres pays, leur avance en matière de savoir scientifique et technologique sont un autre motif de préoccupation quand on les compare au retard considérable pris par les pays arabes et musulmans. Cinquièmement, les réactions négatives, irrationnelles et violentes des groupes extrémistes politico-religieux, manipulés, nourries par l'ignorance, les contradictions des régimes arabes et du désordre mondial sont, elles aussi, un méfait. Ces défis de l'heure ne peuvent êtres relevés que dans un cadre démocratique qui déterminera le type de société, la formation au civisme et la nature de notre culture, et partant, notre aptitude à assumer la mondialité sans perdre nos racines. Qui s'occupe aujourd'hui d'éduquer les citoyens, chaque jour et inlassablement? N'étaient les valeurs spirituelles et l'héritage de la culture ancestrale, la situation serait innommable, il n'y aurait ni repères, ni limites. Comment, en conséquence, devenir moderne et apte à la coexistence et au progrès universel? Reste à réinterpréter et renouveler la compréhension de nos références, à raisonner et à oser interpeller nos voisins et concitoyens sur la responsabilité de tous quant au civisme. Sinon, à qui cela sert -il de jeûner et se dire musulman? L'état de nos cités, la dégradation des comportements et celui de l'environnement contredisent toutes nos prétentions.