L'Expression: Pouvez-vous nous donner, tout d'abord, un petit aperçu de votre parcours de militant de la cause sahraouie? Jean Lamore: Tout d'abord je suis un écrivain américain résidant en France depuis 1977, c'est depuis cette date que j'ai commencé mon engagement auprès du peuple sahraoui car, on parlait souvent d'un état de guerre contre un peuple privé de sa liberté et de son territoire, avant que cette réalité soit occultée en France. Durant les années 90, j'ai fait un voyage en Algérie et dans les camps des réfugiés sahraouis ce qui m'a permis d'approfondir mes connaissances et mes amitiés et avec les Sahraouis et avec les Algériens. C'est là que j'ai commencé à écrire des livres, des articles parfois, des enquêtes très approfondies sur la question sahraouie, faire des conférences en Europe, en France surtout (Sorbonne), en Italie et en Espagne. J'ai mené des actions à titre personnel comme celle liée à la visite du comédien français Pierre Richard dans les camps des réfugiés sahraouis en Algérie. Au début des années 2000 j'ai mené d'autres actions auprès de la presse française qui est tout à fait fermée sur cette question et ce, dans l'espoir d'ouvrir le dossier sahraoui. Il faut admettre qu'il existe toujours une censure en raison des relations très étroites de la France avec la monarchie marocaine. Vous menez une bataille sur un territoire français qui n'est pas emballé par la question sahraouie. Il s'agit, pour vous, d'une besogne qui n'est, décidément, pas aisée. Avez-vous réussi à mobiliser les Français autour de cette question? Je ne tente pas d'agir directement sur les esprits des Français, mais plutôt auprès des personnalités, des stars et des comédiens connus et reconnus par les Français. En un mot, je développe une relation d'homme à homme sans aucune prétention pour discuter dans un cadre amical sur des idées reçues, autrement sur une question qui était totalement ignorée. Je crois que c'est justement en France qu'il faut agir aujourd'hui, surtout dans les milieux où les décisions sont prises pour ouvrir les esprits et dépasser les amalgames reçus. Autrement dit, vous croyez que la France est derrière le blocage actuel que connaît la situation? Indubitablement. Il y a une volonté et une politique très néfastes du coté de la monarchie marocaine pour prendre en otage la société civile française en ciblant des stars de cinéma, des protagonistes de la mode et des politiques en les invitant au Maroc et en les étourdissant avec du luxe et en même temps en détournant leur regard du Sahara occidental. Le comble, les propriétaires des médias et des chaînes de télévision et des grands journaux en France ont tous leurs palais au Maroc. Comment voulez-vous donc qu'ils laissent passer même un texte sur le Sahara puisqu'ils sont acquis d'avance à la position marocaine. Le Monde Diplomatique, à titre indicatif, avait publié une carte géographique où les frontières étaient carrément délimitées, mais qui a été interdit de vente au Maroc par la suite. Et comme la version arabe de ce journal est publiée au Maroc, il a décidé par la suite de se soumettre aux règles du jeu. Personnellement, j'ai organisé un entretien pour TV5 Monde en septembre de cette année et je devais même faire une interview avec le secrétaire général du Polisario, Mohamed Abdelaziz, mais subitement, cette chaîne se sentait obligée de faire un rapport à l'ambassade du Maroc sur les intentions d'un tel travail, lequel a été annulé par la suite. Nous savons que la France et le gouvernement espagnol sont les alliés traditionnels du Maroc, mais les USA, votre pays, viennent de signer aussi un contrat d'armement avec le Maroc, quel commentaire faites-vous à ce sujet? En tant qu'Américain tout d'abord, j'ai une vision très critique sur les agissements de mon propre gouvernement, notamment sur la question du Moyen-Orient, de l'Irak et de l'Afghanistan. Il faut que vous sachiez que les Américains sont de grands marchands d'armes ce qui ne m'étonne pas de voir qu'aujourd'hui les Américains vendent des avions de chasse à la monarchie marocaine. En revanche, ce qui est positif c'est que les Américains ont toujours eu un regard sur le peuple algérien. Lequel regard a commencé avec la guerre de Libération où le président américain (John F.Kennedy, ndlr) était pro-FLN. Aujourd'hui, la position américaine sur l'Algérie n'a jamais changé. Durant les années de terrorisme en Algérie, les Américains ont constaté que les Algériens, avec énormément de courage, ont su seuls surmonter cette crise terrible. Juste après cette réussite, il y a eu des manoeuvres militaires conjointes en Méditerranée. En un mot, je crois qu'il y a une bonne relation entre les deux pays, ce qui poussera, à mon avis, les Américains à avoir une nouvelle vision sur le Sahara. Il y a actuellement un bon nombre de congressistes américains qui défendent la question du Sahara occidental et à chaque fois qu'on a un gouvernement démocratique, on fait une avancée sur la question sahraouie. Quel commentaire faites-vous au stade actuel des choses, c'est-à-dire au processus de paix qui vient d'être enclenché à la faveur des négociations entre le Maroc et le Front Polisario? C'est un grand pas en avant. Le fait que Ban Ki-moon, le secrétaire général de l'ONU, demande aux deux parties d'ouvrir un dialogue c'est déjà une cassure de sept années de froid. Ce sera difficile certes, mais c'est aussi un argument qui contredit la lecture selon laquelle l'Algérie fait partie du conflit. Mais je pense honnêtement que l'ONU, sur un certain nombre de questions, observe un silence total. En tant que garante de la paix dans les territoires occupés, l'ONU reste les bras croisés devant les violations quotidiennes perpétrées par la police et le gouvernement marocains. C'est une situation inacceptable et un échec qui incombe à l'ONU. Si le maintien de la paix est impossible dans ce cas-là, l'ONU doit se retirer et je crois parfaitement que le Front Polisario est capable de régler ce problème avec la monarchie marocaine. Sur le plan diplomatique, l'ONU joue son rôle et l'adoption de toutes les résolutions par le Conseil de sécurité témoigne de l'intérêt accordé par la communauté internationale à la question sahraouie.