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Madrid, le Real et la “causa” sahraouie
Voyage dans l'espagne de la fiesta et du militantisme
Publié dans Liberté le 25 - 04 - 2006

On connaît le Madrid très foot, très "olé olé". Festif. Noceur. En revanche, on connaît nettement moins le Madrid militant. Engagé. En l'occurrence, force est de constater que la société civile espagnole "rachète" de fort belle manière la position espagnole sur le destin
du Sahara occidental
à travers une bouillonnante frange militante profondément républicaine, qui fait un remarquable travail de terrain en direction du peuple sahraoui. Balade dans les arcanes des ONG madrilènes.
Madrid. Ville-fête. Ville-spectacle. Ville-corrida plantée au pied de la Sierra de Guadarrama. À la Plaza Mayor, splendide agora érigée au XVIIe siècle, cœur battant de la vie madrilène, une jeep fleurie porte un couple fraîchement marié sous les hourras de la foule et les joyeuses notes de cornemuse d'une troupe aux sonorités celtico-berbères. “On dirait un foulard kabyle”, lance un compatriote en admirant une joueuse de “tar” interculturel. Décidément, le Printemps berbère semble nous suivre jusqu'ici. La place est bondée d'appareils photo. Chaos de cliquetis en folie. Flash-flash ! Beaucoup d'anglais fuse de cette tour de Babel. Les touristes américains sont partout, comme à Paris. Parfum d'Hemingway. La guerre civile de 1936 que le fougueux écrivain américain couvre comme correspondant de guerre. On est loin des “busheries” néo-conservatrices. Quelques pâtés baroques plus loin, la Puerta del Sol. La Porte du Soleil. Autre place festive enflammée par les envolées lyriques d'un orchestre mexicain avec des mélodies typiquement mariachi. À l'autre bout de la ville trône le majestueux Santiago Bernabeu qui attend le Real Madrid pour une nouvelle joute. Une dernière pichenette inspirée de Zizou qui sauverait (peut-être) la saison du fiasco. Et la Cour du roi, son plus grand fan, de l'opprobre face aux camouflets à répétition de la rebelle Catalunya et son fer de lance : le Barça.
Nous nous frayons un passage musical donc à travers ces petites ruelles labyrinthiques de Madrid infestées de rabatteurs (ses) au profit de l'une ou l'autre des mille et une boîtes-bars-pubs et autres lieux olé olé qui maillent les nuits enfiévrées madrilènes. À l'autre bout, le Madrid militant. Ni Barça ni Real mais Laâyoun dans le “corazon”. Dans le cœur. L'actualité est aux derniers remous de la question sahraouie. Le rapport Annan crée une agitation à la rue Ave-Maria qui abrite les bureaux de la délégation de la Rasd en Espagne. Le président sahraoui, Mohamed Abdelaziz, met le feu aux poudres dans la salle de conférences du somptueux centre “Ateneo” des lettres et des arts. Il rappelle que c'est dans cette même ville, Madrid, que l'avenir du Sahara occidental a été joué. Confisqué. Il menace de recourir à nouveau à la lutte armée pour casser l'embargo des lobbies marocains dans les officines des “amis du SG” comme les appelle Brahim Ghali, chef du Polisario en Espagne : Washington, Paris, Moscou, Londres et… Madrid. Kofi Annan était d'ailleurs là le 6 avril, et a eu de longs palabres avec Miguel Angel Moratinos, l'ange noir de la diplomatie espagnole. Dans la salle, les ONG espagnoles de soutien au peuple sahraoui s'accordent toutes à dire que le gouvernement Zapatero a une position timorée.
Honteuse. Certains évoquent le problème épineux de l'immigration clandestine et les drames des “paritas”, ces barques chargées de harragas qui partent mourir au large des côtes espagnoles, pour expliquer cette lune de miel entre Madrid et Rabat. Pour eux, les Espagnols, le peuple espagnol, sont pour l'indépendance de la Sahra El Gharbia. Pas si consensus que cela si l'on en juge par ce geste d'un militant espagnol partisan de l'annexion qui, à la fin de la conférence de presse de Mohamed Abdelaziz, balance devant la cohue de journalistes des tracts pro-marocains avec ce slogan : “Por la autonomia y la paz en El Sahara” en vociférant et réclamant le droit à la parole lorsqu'il se voit ramassé par le service d'ordre.
Toujours est-il que le décalage est sidérant entre la société civile espagnole – du moins, de larges segments de l'opinion publique espagnole – et les positions du couple Zapatero-Moratinos sur la question sahraouie. Une large partie de l'opinion considère que l'Espagne a une responsabilité directe dans la tragédie du peuple sahraoui pour avoir livré, en vertu des fameux accords de Madrid du 14 novembre 1975 (conclus entre l'Espagne, le Maroc et la Mauritanie), la Seguia El Hamra et Oued Edahab au Maroc et à la Mauritanie. Une plaie dans la mémoire collective espagnole génitrice d'un certain sentiment de culpabilité post-coloniale.
Ils n'ont d'yeux que pour El Ayoun
Culpabilité ou pas, les Espagnols comme ONG sont très présents dans le combat pour les droits du peuple sahraoui. Carmen Astiaso, la cinquantaine consommée, est une militante chevronnée de la cause sahraouie au sein de l'association Amigos del Pueblo Saharaui. “Toute la population espagnole est pour les droits du peuple sahraoui depuis longtemps. Après tout, c'était une provincia” (une daïra espagnole). Pour nous, ce sont nos frères. Alors, tout le peuple espagnol est solidaire avec la cause sahraouie” dit Carmen avec conviction. “C'est en Algérie que j'ai commencé à m'intéresser à la cause du peuple sahraoui. J'ai vécu à Alger de 1973 à 1980. J'étais là-bas en qualité de professeur d'espagnol à la faculté d'Alger. Ce sont parmi les plus belles années de ma vie”, raconte-t-elle avec un succulent français à l'accent de Cervantès. Carmen ajoute : “J'ai gardé contact jusqu'à ce jour avec mes anciens élèves et je suis retournée plusieurs fois en Algérie. J'ai été à Constantine, Timgad, Djemila, Timimoun. Prochainement, je vais encore y aller pour un tour à Tamanrasset.” Ainsi, Carmen milite pour l'indépendance du peuple sahraoui depuis l'année qui a vu la création du Front Polisario : 1973. “Nous nous occupons des aspects politiques en demandant au gouvernement espagnol de reconnaître au peuple sahraoui son droit à l'autodétermination. Nous menons aussi des actions envers les enfants sahraouis avec le soutien de familles espagnoles. Il y a un volet humanitaire, mais le plus important, c'est le combat politique. Cela fait 30 ans qu'on est dans la lutte et nous disons : basta !” Pour Carmen, si Madrid soutient Rabat, c'est pour des intérêts essentiellement économiques : “Aujourd'hui, le gouvernement espagnol a la même attitude que le gouvernement français. Il a certainement des intérêts économiques avec le Maroc. Toutefois, on espère que Zapatero, de même qu'il a retiré nos troupes d'Irak, prendra aussi la décision de soutenir l'indépendance du peuple sahraoui.”
Qu'ils soient dans l'humanitaire, l'assistance juridique, l'action médicale, l'action médiatique ou autre, les Espagnols font un travail de terrain très intéressant et très intense. Dans le vol Madrid-Alger, des Espagnols en gilets estampillés Médecins du Monde s'apprêtent à se rendre dans les camps de réfugiés sahraouis. “Nous faisons tout d'abord un grand travail d'information pour que les gens prennent conscience de ce que vivent les Sahraouis” dit José Taboada Valdes, président de la Coordination des associations espagnoles de solidarité avec le peuple sahraoui (CEAS-Sahara). Et de poursuivre : “Nous intervenons aussi beaucoup sur le volet humanitaire en direction des camps de réfugiés. Nous organisons des vacances en paix en faveur d'enfants sahraouis pour maintenir les relations entre le peuple sahraoui et le peuple espagnol, les familles sahraouies et les familles espagnoles.” José souhaite casser l'embargo sur El Ayoune en tentant d'organiser un voyage par voie maritime vers les territoires occupés. Rappelons à ce propos que plusieurs délégations espagnoles (ONG, humanitaires, journalistes) ont été empêchées récemment d'aller dans les territoires sahraouis.
Territoires interdits
Francesco en faisait partie. Francesco José Alonso Rodriguèz est un militant des droits de l'homme. Il est précisément le président de la Ligue espagnole des droits de l'homme et membre de la FIDH. Il a tenté par deux fois d'entrer à El Ayoune. En vain. “J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec le président de la commission justice et réconciliation du Maroc. Ils m'ont promis de m'organiser un voyage dans les territoires occupés. Cela fait quatre fois que j'attends, à chaque fois ils renvoient cela. Le premier obstacle est que nous ne voulons pas faire le voyage Madrid-Rabat-El Ayoune, nous voulons aller directement là-bas en faisant Las Palmas-El Ayoune.” Francesco confie que la Ligue qu'il préside s'occupe des détenus sahraouis et des réfugiés politiques sahraouis dans la péninsule ibérique.
“Dans notre ligue, il y a un avocat qui défend les détenus sahraouis incarcérés dans les prisons marocaines. Nous avons deux détenus sahraouis que nous n'avons jamais été autorisés à voir directement. Nous allons encore insister jusqu'à ce qu'on puisse aller dans les zones occupées et les visiter officiellement”, promet-il. Francesco regrette lui aussi la position officielle espagnole : “La position du Portugal a été bien courageuse vis-à-vis du Timor oriental et on ne peut pas dire la même chose à propos de l'Espagne avec son ex-colonie.”
Carlos Ruiz Miguel, lui, est professeur de droit constitutionnel à l'université de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Galice (nord de l'Espagne). Il faisait partie lui aussi d'une délégation qui a tenté d'entrer à Al-Ayoune. Son champ de prédilection : l'information et le droit. Il est persuadé que le droit international à lui seul peut faire aboutir un jour ou l'autre la décolonisation du Sahara Occidental.
Carlos a commencé à s'intéresser à la question sahraouie dans un cadre, on va dire, universitaire, à travers des études qu'il a faites pour l'Institut royal d'études stratégiques de Madrid (Elcano). En 1995, il sort un livre très fouillé sur la question : l'Espagne et le Sahara Occidental (ed. Dykinson, Madrid, 1995). “Il existe un puissant lobby marocain en Espagne qui fait croire que l'intérêt de l'Espagne est de soutenir la monarchie marocaine et l'annexion du Sahara plutôt qu'un Maroc démocratique”, estime-t-il. Carlos édite avec une douzaine de volontaires un bulletin en ligne : Sahara-Info. “L'idée, c'était de faire un journal mais pas en papier. Un journal en papier, c'est très cher, mais avec l'électronique, nous avons l'opportunité de le réaliser. Le fait, c'est qu'il n'y avait aucun journal sur les nouvelles sahraouies, aussi bien en Espagne que dans le monde. Bien sûr, il y a cette page de référence mondiale qu'est l'ARSO (arso.org) qui émet un bulletin hebdomadaire et maintenant bihebdomadaire, mais il n'y a pas un journal avec toutes les informations sur le Sahara Occidental qui paraisse chaque jour”, affirme-t-il, et d'ajouter d'ajouter : “Nous avons un double journal : un journal en espagnol et un autre en français. Dans le journal en espagnol, nous reproduisons toutes les nouvelles en espagnol qui sont publiées dans la journée. Et dans le journal en français la même chose. C'est très important parce qu'on peut avoir une vision globale sur le conflit. On peut avoir une information très complète sur toutes les questions associées au conflit : la question des ressources naturelles, la question des droits humains, tout ça.” Pour Carlos, “le référendum, c'est la seule solution. Ce que l'intifadha met en évidence, c'est que sans autodétermination, il n'y aura jamais de stabilité dans la région” .
M. B.


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