Jean Lamore, un écrivain américain, estime que le combat des Sahraouis pour leur indépendance est un exemple de démocratie. La France, pour lui, doit se purger de tous ces vieux démons qu'elle a, et doit être psychanalysée. Il explique le soutien français du colonialisme marocain par une relation à caractère néocolonial et des investissements pécuniaires. Comment vous êtes-vous intéressé à la question sahraouie ? Je suis militant pour la cause sahraouie depuis fort longtemps. J'écris à la fois de la fiction mais aussi des textes politiques. J'ai ma propre revue qui s'appelle la revue mambas, et j'intervient aussi pour des conférences à Genève, à la Sorbonne (Paris) et en Italie sur la cause sahraouie qui est pour moi un exemple remarquable d'un modernisme absolu. C'est un exemple à suivre par toutes les nations, en Occident ou ailleurs qui se disent démocratiques. La France aussi, par son soutien à la monarchie marocaine, entame une nouvelle époque de colonialisme. C'est un grand retard, c'est un retour dans le passé, et la France, comme le Maroc, seront les grands perdants dans cette histoire. Aujourd'hui, nous avons le pays ami, l'Algérie, qui représente un des exemples les plus récents d'une lutte âpre et extrêmement risquée pour son indépendance où elle avait des forces orchestrées à son encontre. L'Algérie a une vision, comme beaucoup de jeunes nations africaines, beaucoup plus éclairée que les visions dans nos pays en Occident. Même les Etats-unis, qui sont une vieille nation, nous avons oublié un peu ce que cela représente une véritable lutte pour son indépendance. Or, ça devrait être une notion qu'on garde toujours au frais. Il y a l'occupation de la capitale religieuse sahraouie ; il y a une colonisation à caractère effréné ; il y a l'oppression massive et brutale de la population civile sahraouie à l'heure même où je vous parle qui est totalement occultée. Le livre que je sors actuellement, c'est la construction de l'oubli. Ce qui est en train de se passer est que la France et la monarchie marocaine ont formé une collision pour construire l'oubli dans l'avenir alors que c'est naturellement un phénomène qui se situe dans le passé. Que retenez-vous de la conférence de soutien aux Sahraouis ? La conférence qui vient de se dérouler à Vitoria est extrêmement positive par la synergie de tous ces pays qui sont venus avec des délégations, représentant des personnalités. C'est un travail collectif très important que l'ONU ne peut pas négliger. En revanche, il y a des choses qui sont beaucoup plus profondes dont les membres du Conseil de sécurité sont bien au fait, c'est qu'aujourd'hui, nous sommes en phase de l'histoire où beaucoup de donnes sont en train de changer. Toute la donne géopolitique en ce qui concerne le monde arabe est en train de se transformer foncièrement. La France a une tradition dans la politique contemporaine, dans les questions de décolonisation, elle a toujours été du mauvais côté. C'est encore une preuve de son erreur aujourd'hui qu'elle soutient la monarchie, et d'ailleurs on peut se demander quel pays tient l'autre : ne serait-ce pas la monarchie qui tient la France par des liens d'amitié qui sont naturels, mais aussi des liens à caractères vénal, pervers qui n'ont rien avoir avec le fonctionnement de deux nations qui se prétendent modernes ? Aujourd'hui le vrai modernisme se situe chez les Sahraouis dans cette jeune nation qu'ils ont réussi à construire et qui, immanquablement, aura son indépendance. Justement comment expliquez-vous l'attitude française à soutenir farouchement le colonialisme marocain ? C'est surtout une relation à caractère néocolonial et avec des investissements pécuniers. Les liens entre la France et le Maroc sont surtout basés sur l'argent, sur le développement du côté marocain. On se trompe complètement, la France et l'Algérie ont un passé très riche ensemble, malgré les difficultés et les drames. L'ouverture a été déjà faite du côté algérien, la France doit tendre la main, passer le savon sur son propre passé qui est contemporain et aller vers l'Algérie. L'Algérie est un pays plein d'espoir. Quand je parle avec un Français, un chef du patronat ou un politicien, immanquablement on me dit non, officiellement que l'Algérie, on ne peut pas travailler avec parce que c'est un pays ennemi. Ce sont beaucoup de personnes décisionnaires en France qui ont toujours cette vieille hantise ; on évoque le terrorisme, le manque d'emploi,... mais, pour moi, ce sont des raisons pour investir, c'est une richesse future. L'Algérie a une richesse future, elle a pu surmonter des problèmes incommensurables. L'Algérie avait fait preuve d'un courage incroyable. La monarchie marocaine est comme une structure vétuste et vieillissante qui a besoin d'une purge. Certains pays veulent impliquer l'Algérie dans le conflit… Sans l'appui de l'Algérie, le peuple sahraoui serait en très grande difficulté, mais, en revanche, en ce qui concerne les solutions politiques, il faut mettre les protagonistes face à face : les marocains et les sahraouis. L'Algérie et la France peuvent aider à construire des réunions même à caractère confidentiel pour avancer, on pense à toutes les mesures de diplomatie parallèle qui ont eu lieu dans le passé et qui ont abouti à des solutions. Il faut aller dans cette direction aujourd'hui. La France doit, au niveau du gouvernement, mener une procédure cathartique : elle doit se purger de tous ces vieux démons qu'elle a, elle doit être psychanalysée. Il faudrait savoir qu'en France il y a une censure rigoureuse sur la question du Sahara. On peut parler de la Tchétchénie… de tout ce qu'on veut, les intellectuels français, entre guillemets, parce que pour moi il y a effondrement intellectuel en France, aucun artiste ou penseur ne s'engagerait sur la question du Sahara parce qu'ils ont peur de cette question. Et ils ont tous été pervertis par des invitations au palais du roi. Beaucoup ont leur propre palais au Maroc. Comment devrait être mené, selon vous, le combat pour amener la France à changer sa position ? Le combat en France est peut être l'un des combats les plus importants. La population civile en France ignore tout de la question. Il faut mener le combat de manière intelligente et diplomatique auprès des personnalités politiques. La France est prête pour un changement en politique. Nous sommes prêts en France à entamer une période de rupture par rapport à cette tradition qui a été héritée depuis Giscard, cette vision fermée sur le Sahara-Occidental, des vielles rancunes peut-être envers l'Algérie. Il n' y a pas lieu d'avoir ce genre de rancunes, les relations doivent être normalisées. Malheureusement, je constate que même les jeunes décisionnaires de 40 à 50 ans dans le patronat et dans le gouvernement français ont hérité des positions fermées, de vieilles rancunes à l'égard de l'Algérie, mais aussi d'incompréhension totale sur la question du Sahara-occidental.