C'est plutôt la visite effectuée il y a quelques mois par le roi Mohammed VI dans les territoires sahraouis occupés qui est condamnable. Réaction somme toute disproportionnée du Royaume chérifien. Au moment où il refuse de reconnaître les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, en faveur de l'autodétermination du peuple sahraoui, voilà qu'il s'oppose à la visite du roi Juan Carlos d'Espagne dans les enclaves de Ceuta et Melilla. Médias, partis politiques et mouvement associatif marocains sont «actionnés» pour dénoncer ce qu'ils qualifient de visite dans des «villes marocaines spoliées». Même les partis et la presse espagnols se sont déclarés «surpris par la vigueur de la réaction marocaine.» La plupart des quotidiens espagnols faisaient, hier, leur «une» sur cette nouvelle «crise diplomatique» entre les deux pays, tout en jugeant «disproportionnée» la réaction de Rabat et en réaffirmant la souveraineté espagnole sur Ceuta et Melilla. Dire que le Maroc a été «spolié» de ces villes, «comme l'a fait l'Exécutif marocain, est un mensonge: toutes deux sont espagnoles depuis les XVe et XVIe siècles, plusieurs siècles avant l'existence du Maroc», écrivait dans un éditorial le quotidien El Mundo. Le quotidien El Pais notait, toutefois, hier, que l'annonce marocaine avait d'autant plus surpris Madrid que le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, effectue actuellement une visite semi-privée au Maroc où il participe à un festival à Essaouira. Le gouvernement marocain a annoncé vendredi le rappel de son ambassadeur à Madrid pour protester contre cette visite «regrettable», débutant aujourd'hui dans ces deux enclaves, revendiquées par le Royaume chérifien. Cette décision «est un geste avec lequel nous sommes en désaccord, mais nous avons de bonnes relations avec le Maroc et nous sommes sûrs qu'elles vont se poursuivre», a estimé, vendredi soir, le ministre espagnol de l'Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba. Il est donc clair que la visite de Juan Carlos ne mérite pas autant de tapage. Elle est même une visite ordinaire. C'est plutôt celle effectuée, il y a quelques mois, par le roi Mohammed VI dans les territoires sahraouis occupés qui est condamnable. Une visite qui, rappelons-le, a eu lieu sur fond de répression et de violation, à grande échelle, des droits de l'homme. Des Sahraouis qui s'étaient opposés à cette énième provocation du Royaume, se sont vu arrêtés, torturés et leurs domiciles violés par les éléments du Makhzen. Contrairement au Maroc, le ton est à la sérénité côté espagnol. José Antonio Alonso, ministre de la Défense, a affirmé, hier, que cette visite n'était organisée «contre personne» et a appelé à la modération pour empêcher une «escalade» diplomatique. Il faut éviter «une détérioration des relations entre deux pays, qui ont actuellement de très bonnes relations et ont de nombreux intérêts en commun», a-t-il déclaré. De son côté, le chef de la diplomatie espagnole, Miguel Angel Moratinos, a indiqué que son pays n'avait pas l'intention de prendre une mesure similaire de rappel, espérant que cette décision «souveraine» du Maroc «n'affectera pas» les relations bilatérales. Serait-ce donc une tempête dans un verre d'eau? Une opportunité prise au vol par Rabat pour détourner l'opinion sur la dernière résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, en faveur de l'autodétermination du peuple sahraoui?