C'est la mémoire de l'humanité à travers ses richesses architecturales, archéologiques et muséales qui est irrémédiablement mutilée. Ayrouwen, tel est le titre du premier long métrage en tamahaq (langue targuie), réalisé par Brahim Tsaki et projeté lundi soir en avant-première à la salle El Mougar d'Alger. D'une durée de 80 minutes, Ayrouwen qui veut dire Il était une fois, en langue targuie raconte une histoire d'amour entre Amayas, un targui, et Claude, jeune adolescente native d'une ville européenne, qu'il a connue dans le Grand désert de Djanet. Cette histoire pleine de passion entre les deux est perturbée par un ancien chagrin qui provient d'une première histoire d'amour entre Amayas et Mina, que le destin a empêchés de se marier, car Mina et Amayas ont été allaités au même sein au cours de leur enfance et sont donc frère et soeur de lait. Ces images particulièrement prégnantes sont renforcées par une longue tradition qui remonte à l'Antiquité et sont communes aux chrétiens, aux juifs et aux musulmans. Ces traditions ont conservé le mythe du mal à travers ce type d'exemple, ou traduisent l'état du peuple qui ne respecte pas ce tabou comme étant par essence celui d'un peuple inférieur. Elles furent renforcées par les canons médiévaux. Dans le deuxième contexte, il s'agissait, comme c'est souvent le cas, d'une classification fondée moins sur la couleur de la peau elle-même, que sur ce que cette couleur signifiait. Pour les gens du nord dont la peau était blanche ils considéraient cela comme un signe de supériorité. La plupart des récits insistent plutôt sur le subi des gens du Sud en général et de leurs femmes en particulier. Une meilleure connaissance du Sud et des Sudistes n'a guère changé ces attitudes forgées par ces images héritées du passé. Mais en réalité, dans des zones souvent arides et désertiques, la contemplation du rien nous ramène sans cesse à nous-mêmes, le regard se tourne très vite vers l'essence des choses et des êtres, vers l'essentiel. La contemplation est voulue active, car la vie restant avant tout, mouvement, c'est de s'arrêter tous les soirs dans des lieux différents, se remettre toujours en question, sentir dans son corps l'impermanence des choses dans la fascination devant les espaces démesurés. Les nuits sans toit, la simplicité et la beauté font retrouver le sens profond du nomadisme et sa saveur de liberté. L'homme bleu, qui reste immobile, s'accroche aux possessions, au matériel...Il a de plus en plus de mal. La Terre est grande et belle, les peuples qui l'habitent sont riches en couleurs et en différences. L'homme peut parcourir cette Terre pour mieux la connaître afin de mieux se connaître, pour rencontrer les autres afin de se rencontrer... et surtout ne jamais dépendre. Ce jeune targui part en Europe pour rejoindre Claude, mais son coeur reste toujours attaché à Mina, qui, elle non plus, ne cesse de penser à lui, même après son mariage avec un vieil homme de la région. L'Amour, cette énergie, est partout dans la vie. Il participe lui aussi à la création de l'univers par des pensées, consciemment ou inconsciemment. Cet appel, c'est le coeur qui le fait. Un jour, Amayas retourne visiter le désert, et par malheur, boit de l'eau de la montagne maudite, dont les habitants croyaient qu'elle portait une malédiction ou un mystère, et finit par mourir. Quelque temps après, il s'est avéré que l'eau était, tout simplement, polluée et dépourvue de tout mystère. En effet, c'est un appel, par-delà les souffrances des populations frappées par l'intensité des destructions matérielles, c'est la mémoire de l'humanité au travers de ses richesses architecturales, archéologiques et muséales qui est irrémédiablement mutilée. Ce sont aussi les identités culturelles de l'ensemble de la région qui sont profondément menacées. C'est une histoire de fiction, dans un désert (sud), beau, plein de richesses et de mystères, qui n'arrête pas de subir l'ego du Nord.