L'attaque a fait une centaine de morts et deux cents blessés. Le 28 février 1958 à 11h30, une armada de 25 avions militaires français dont 11 bombardiers B26, 6 chasseurs bombardiers Corsair et 8 chasseurs Mistral, bombardent la ville de Sakiet Sidi Youssef, située à 500 mètres de la frontière algéro-tunisienne, faisant une centaine de morts et deux cents blessés. Le gouvernement français avance comme argument de cette attaque le fait que quelques heures auparavant, un avion de reconnaissance Morane survolant la frontière avait été touché par des tirs de mitrailleuses; une version avancée par les autorités françaises et non démentie du côté tunisien. Il avance aussi que cet incident était le trentième du genre que subissait son aviation, en dehors des incidents à la frontière entre les éléments de l'ALN et les troupes françaises, qui se chiffrent à 85 incidents entre accrochages, embuscades et sabotages depuis le 1er juillet 1957. Pour ma part, j'ai calculé en compulsant les journaux El Moudjahid sur la même période et le résultat est de 28 accrochages, 26 embuscades, 17 sabotages, et 42 attaques de postes militaires, soit 113 incidents. Le 17 janvier 1958, le gouvernement Gaillard décide d'envoyer le général Buchalet, porteur d'un message ultimatum, à savoir, mettre en pratique le droit de poursuite adopté par le gouvernement français dans sa réunion du 11 janvier 1958, jour où l'armée française subissait un revers, à savoir une embuscade dressée à Djebel Alahoum où ses pertes communiquées par les autorités françaises étaient de 15 morts et 4 prisonniers et de 42 morts et 4 prisonniers, selon le communiqué d'El Moudjahid. Les deux communiqués convergeaient sur le nombre des prisonniers qui étaient le caporal Vianaron et les soldats Jean Jacob, Vincent Moralès et Henri Reléa. Gaillard s'imaginait que Bourguiba allait s'incliner devant ce général à deux étoiles! Mieux, il refuse de le recevoir et ne manque pas d'ironiser dans une de ses déclarations hebdomadaire, disant: «La diplomatie de l'uniforme rappelle étrangement celle des temps passés où il suffisait d'envoyer une canonnière pour intimider le roi indigène», faisant allusion à l'arrivée six ans plus tôt de monsieur De Hautelocque, résident général de France, sur un croiseur de guerre pour intensifier la répression contre le mouvement national tunisien. Le 19 janvier, le président Bourguiba déclare: «Les Algériens prennent soin de leurs prisonniers malgré les conditions difficiles et inégales de la lutte où ils se sont engagés, alors que la France ne reconnaît pas aux prisonniers algériens le statut de belligérants et les défère devant les tribunaux comme des malfaiteurs de droit commun.» Devant l'attitude de Bourguiba, le gouvernement français décide de rappeler Quelques mois plus tôt, et pour être exact, en date du 14 septembre 1957, le général Loth, commandant du corps d'armée de Constantine, adressait une directive aux différents commandements sous ses ordres dans laquelle il instruisait: «Dans l'éventualité d'une attaque du FLN, j'ai décidé de prévenir toute agression par un effort accru de la recherche terrestre et aérienne de renseignements de la zone frontalière, de bloquer immédiatement toute attaque rebelle en usant au maximum des feux d'artillerie et d'aviation sur demande des troupes en contact et, enfin, de contre-attaquer en vue de détruire les bandes et les bases rebelles situées entre Tabarka et Thala, après les avoir écrasées sous le feu de l'aviation et d'assurer le contrôle de cette portion du territoire tunisien.» Le 19 du même mois, il complétait ses instructions par: «Le général Salan vient de me donner carte blanche pour réagir brutalement en Tunisie...Les moyens utilisés doivent infliger à l'ennemi un indiscutable et sanglant échec. (Les USA et la Tunisie par Samia El Machat).» Le gouvernement français avait laissé le choix et la responsabilité à messieurs Robert Lacoste, ministre résident à Alger, et à Jacques Chaban Delmas, ministre de la Défense, déléguèrent qui cette autorité à leur tour aux militaires. Cette opération a été préparée par le général Jouhaud en tant que commandant des forces aériennes, soumise au général Ely, chef d'état-major, avec l'aval de Chaban Delmas, ministre de la Défense (lettres de Jouhaud à Salan et de Salan à Chaban Delmas. Archives de l'armée, Vincennes 1h, 1965, du 13.2.58) Quels étaient les objectifs de ceux qui avaient programmé cette attaque? Le 26 décembre 1957, Bourguiba dans son allocution hebdomadaire, propose à la France une alliance si celle-ci accepte le repli des forces françaises, sous le commandement du général Gambiez, sur Bizerte, et la fermeture des bases aériennes sous contrôle français de Sousse, Gabès, Sfax et Ramada. Le 29 décembre 1957, il déclare: «Je tiens à affirmer en toute clarté, à l'intention des nations amies d'Amérique et de Grande Bretagne et de toutes celles représentées à l'ONU, que les conditions de notre accord sont bien le maximum que peut accepter le FLN et qu'il ne peut être question de lui faire admettre d'autres concessions. Un cessez-le-feu est notamment hors de question. Le combat des Algériens, leur Révolution et les sacrifices de tout un peuple n'ont qu'un but: libérer l'Algérie du régime colonial. Il est impossible qu'ils mettent les armes de côté tant que ce régime subsiste et tant que subsiste en France la volonté de le maintenir.» Le Quai d'Orsay, sous la pression des événements et celle des partenaires de la France à l'Otan tentait de trouver une issue honorable à cette crise, contrairement aux autres ministères et, en particulier, ceux de la Défense et du ministre résident. a) Briser la dynamique des bons offices tuniso-marocains. Mohammed V, roi du Maroc, et Bourguiba ont adressé un appel le 22 novembre 1957 à la France et au FLN pour leur proposer leurs bons offices. Le 23 novembre, le FLN répond favorablement à cette initiative, qui est rejetée le 24 novembre par Christian Pineau ministre des Addaires étrangères, qui considère que Bourguiba et Mohammed V ne sont pas acceptables, car la Tunisie et le Maroc ne sont pas neutres dans le conflit algérien. Cette initiative ayant été encouragée par John Forster Dulles, secrétaire d'Etat américain, ce qui a conduit le gouvernement français à la repousser de peur d'une internationalisation du problème algérien. b) Mettre dans l'embarras les Américains Investi en octobre 1957, le gouvernement Gaillard entame une politique de stabilisation et de réduction du déficit budgétaire et de la balance des paiements. Après avoir injecté plus d'un milliard de dollars dans l'économie française, les Etats-Unis fournissaient une aide de 280 millions de dollars en 1955, 230 millions en 1956 et 110 millions en 1957. En contrepartie, ils demandaient à la France un changement de politique en Afrique du Nord en ménageant la Tunisie et le Maroc et en trouvant une solution négociée en Algérie. Les USA avaient peur que ces trois pays ne tombent sous le giron de Nasser et du communisme. Confronté à une crise financière grave, Gaillard charge Jean Monnet, ancien président de la Commission européenne du charbon et de l'acier (Ceca), très lié aux Américains, de négocier une aide financière de 650 millions de dollars. Celui-ci a pu l'obtenir en garantissant que la France allait mettre un terme à la guerre en Algérie et qu'elle évacuerait 175 000 soldats d'Algérie dans le courant de 1958. (Dynamic Revolution par Matthews Connelly, p 123/124) Il obtient gain de cause avec une aide de 655 millions de dollars, dont 88 millions de l'Eximbank Washington, 131 millions du FMI Washington, 250 millions de l'EPU (Union européenne des paiements) Londres et 1286 millions du Trésor américain Washington. Le déficit français était dû en totalité à la Guerre d'Algérie, qui lui revenait à un milliard de francs par jour ou deux millions de dollars. Cette aide suscite les protestations du FLN qui accuse les Américains d'aider la France dans sa politique coloniale en Algérie. Inutile de rappeler que les promesses de Jean Monnet n'ont pas été tenues, d'où un changement sensible dans les positions américaines et les regrets de John Forster Dulles, d'après Matthews Connelly. Avec l'attaque contre Sakiet Sidi Youssef, le gouvernement français a drôlement «remercié» les Américains. Beaucoup d'historiens et d'analystes considèrent que les partisans du retour du général de Gaulle, et tout particulièrement Chaban Delmas, ont poussé à l'incident de frontière afin de déstabiliser le gouvernement Gaillard et de préparer les événements du 13 mai 1958. Conséquences de cette agression Le gouvernement Gaillard est renversé le 15 avril 1958 étant incapable de gérer la crise engendrée par cette attaque contre Sakiet Sidi Youssef. Le gouvernement américain impose à la France une Commission de bons offices en désignant Robert Murphy, ancien consul à Alger de 1939 à 1945, à titre de secrétaire d'Etat adjoint avec comme représentant britannique M.Harold Beeley, haut fonctionnaire au Foreign Office. Avec l'implication de ces deux éminences, le gouvernement français, dont la hantise était l'internationalisation du conflit algérien, était bien servi. Le gouvernement tunisien obtient entière satisfaction sur ses revendications, à savoir le repli des forces françaises sur Bizerte, la fermeture des aéroports militaires et des consulats à la frontière. Le 17 juin, le gouvernement français avec le retour du général de Gaulle aux affaires, informe la Tunisie de sa décision d'accepter les conditions contenues dans le document élaboré par les bons offices Murphy/Beeley. Pour sa part, l'ALN s'installe définitivement aux frontières jusqu'à l'Indépendance.