Il raconte avec naturel les bribes d'une vie taillée dan le socle granitique du Djurdjura. Trois heures de discussions à bâtons rompus avec Lounis Aït Menguellet ne laissent jamais indifférent. Des moments qui stimulent des questionnements, le sens, le poids des choses et les avatars de la vie. Ainsi, on est contaminés par une étrange remise en cause des préceptes préétablis et on se dit: finalement on peut porter sa culture au firmament tout en restant soi-même sans les diaprures et les extravagances qui affectent les hommes sur un podium. Tout chez Lounis suggère cela sans qu'il le dise explicitement. «Je ne veux être personne d'autre à part moi même», soutient-il avec une simplicité qui désarme le plus hardi des interviewers, fût-il Marcel Proust. A chaque fois qu'on essaie de comprendre des chansons de Lounis Aït Menguellet dans toute leur complexité, c'est justement la simplicité de l'homme qui nous surprend. Ce monument de la chanson algérienne reste entier en dépit des heurs et les malheurs qui ont jalonné son long chemin d'artiste. Mais d'où tire-t-il cette force, à rester simple jusqu'à la sagesse? Bien évidemment, de sa montagne qu'il chante et de sa «kabylité» qu'il assume. Une kabylité qu'il transcende «ni je romps ni je plie». C'est ainsi qu'il se plaît à contester le slogan fétiche «vaut mieux rompre que plier». Mais avec toutes ses tares, cette kabylité, il la brandit comme un emblème et quelquefois comme un brûlot jeté à la face des poltrons de tout acabit. «Non, je n'arrêterai pas mon gala car je ne reconnaîs pas un second Etat dans ce pays», lançait-il, stoïquement, à la face d'un commissaire de police chargé de le dissuader d'annuler son gala à la salle Atlas en 1991. «Je débarquais de ma montagne pour animer un gala dont les fonds allaient servir à la construction d'une maison de jeunes au village, mais je ne savais pas que les islamistes avaient autant d'autorité et que l'Etat était aussi absent», rappelle-t-il. «Le gala a duré 7 jours et autant de pression, une pression terrible mais il ne fallait pas céder au chantage. A la fin du gala, le même responsable de la police qui voulait me dissuader est venu me proposer de continuer à chanter encore quelques jours et ma réponse a été claire: je ne suis pas venu en provocateur...» A cette époque, l'islamisme bombait le torse à Bab El Oued. Des galas de stars internationales qui devaient se produire à Alger ont été annulés. On se rappelle de la polémique née autour de la venue, pour la première fois en Algérie, de la chanteuse Linda de Suza. Son gala a été annulé d'autorité par les islamistes. La suite de l'ascension de l'islamisme en Algérie est connue. Les assassinats, les attentats et autres crimes rimaient avec les années 90. La même Kabylité, meurtrière celle là, pousse Aït Menguellat à rester dans son village natal à Ighil Bouamass durant ces années noires du terrorisme. «Je ne pouvais pas et je peux pas admettre que quelqu'un vienne me faire sortir de ma maison, c'est quelque chose d'inconcevable pour moi.» Et dire qu'il constituait une cible privilégiée pour les terroristes. «Je le dois à la vérité et je dis ici que je n'ai jamais reçu de menaces.» «Durant toutes ces années je n'ai pas changé mes habitudes». Allez savoir pourquoi? Lounis intrigue, inspire le respect et force l'admiration. L'homme raconte avec naturel des bribes d'une vie taillée dans le socle granitique du Djurdjura. Une montagne qu'il n'est pas près de quitter pour ne choir dans les basses plaines. «L'vaz ma ixussith udrar arux kan Ad s'semmin» (sans sa montagne, le faucon serait un simple oiseau)