On parle beaucoup, actuellement, de l'Agence du médicament comme élément de régulation du produit pharmaceutique de qualité en Algérie. L'avis d'un spécialiste... Même si l'affaire ne s'est heureusement pas déroulée dans notre pays, nombreux sont les Algériens qui ont entendu parler du scandale du sang contaminé en France. Devenue une véritable affaire d'Etat dans laquelle des hauts fonctionnaires de l'administration française ont été convoqués devant les tribunaux. Le drame du sang contaminé a coûté la vie à de nombreuses personnes et, tout aussi grave, révélé, au grand jour, de graves dysfonctionnements. Derrière l'opacité des échanges entre les sphères politique et scientifique, c'est tout un système de santé qui a vacillé sur ses bases. Associations de victimes, parlementaires, intellectuels: tout le monde a été unanime pour souligner l'urgence d'une réforme rapide des instruments de contrôle. Malgré les réticences d'une tutelle «classique», très centralisatrice et planificatrice, les pouvoirs publics ont été poussés à procéder à une vaste réforme de la gestion du risque. Résultat d'une profonde réflexion des institutions françaises: la mise en place d'une agence de gestion du risque. Celle-ci est calquée sur le modèle anglo-saxon qui doit également beaucoup à l'Union européenne qui privilégie le recours aux agences identifiées comme seuls interlocuteurs compétents, notamment dans le domaine médical. Dans l'immense majorité des pays développés, les agences sont considérées comme plus vigilantes, plus expertes et plus réactives. Elles bénéficient également de transferts de missions de collectes d'informations et d'évaluation de la déconcentration des pouvoirs publics de police sanitaire à des structures soumises à tutelle ministérielle. Ce qui constitue un élément clé de cette nouvelle organisation. Dans le cas de l'Algérie, nous devons d'abord poser la question de la compétence des agents et des experts dans un système de santé qui prend en charge la gestion des normes et se trouve confronté à des procédures toujours plus complexes et techniques. Car, si pour les dossiers importants la collégialité reste une garantie essentielle, l'expertise doit conduire à n'intervenir que dans un domaine que l'on maîtrise parfaitement. Pour souligner davantage l'étroite marge de manoeuvre en matière de gestion de risque sanitaire, il est utile de préciser (ou de rappeler) que l'expert (quel que soit son niveau de compétence) ne doit en aucun cas se substituer au pouvoir décisionnel de l'autorité publique. En effet, les résultats de l'expertise demeurent de simples avis qui n'engagent pas le politique. L'agence participe aussi à l'application des lois et règlements relatifs au contrôle et à l'évaluation des produits sanitaires destinés à l'homme. Elle doit également évaluer le rapport bénéfices/risques liés à l'utilisation de ces produits de santé et assurer la mise en oeuvre des systèmes de vigilance. Pour garantir la santé de la population, l'agence prend des mesures de police sanitaire ou demande, le cas échéant, aux autorités d'en prendre. Cette capacité d'action ou d'intervention doit aussi s'accompagner d'une disponibilité à l'égard des associations agréées ou même de simples usagers. Ainsi envisagée, l'agence est un véritable relais. Dans le cas de l'Algérie, une telle agence pourrait grandement contribuer à concilier l'accès à des soins de qualité pour nos concitoyens et le logique impératif économique. Là où les oppositions les plus farouches ont souvent prévalu, l'agence pourrait, par exemple, assouplir les procédures administratives d'inscription à la nomenclature des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux. Un changement qui devrait naturellement s'accompagner d'une révision des règles balisant le prix des médicaments. En parallèle, pour permettre à l'Etat de payer un prix juste et équitable, le projet porté par cette Agence nationale du médicament (ANM) propose également des mesures et des approches permettant de sensibiliser le citoyen en vue d'un usage optimal des médicaments. Les fabricants de produits pharmaceutiques seront, pour leur part, appelés à participer activement à l'encadrement de certaines pratiques commerciales. Tous les rapports de santé le révèlent, le maintien de l'équilibre entre les politiques de santé et le développement économique nécessite une très large ouverture sociale. Cela pourrait se traduire, en l'occurrence, par la mise en place d'un comité permanent d'échange qui réunirait les ministères de la Santé, de la Sécurité sociale, de l'Industrie, du Commerce et les fabricants. C'est important de le rappeler: la participation de tous est nécessaire pour que l'Algérie se dote enfin d'une vision alimentée par plusieurs points de vue différents et d'une stratégie qui permettrait aux mots «médicament» et «soins» de ne plus se heurter violemment aux notions de «développement industriel» et de «pratiques commerciales». L'organisation actuelle de la Pharmacie ne peut, par ailleurs, plus répondre aux objectifs que s'assignerait toute politique pharmaceutique nationale. La conception, la distribution et l'usage du médicament mettent en oeuvre des mécanismes si divers et complexes qu'il devient, aujourd'hui, urgent d'offrir à l'espace pharmaceutique algérien de nouvelles perspectives qui prendraient en compte ses dimensions scientifique, socio-économique, technique et juridique. Il va sans dire que ce vaste et ambitieux projet d'adaptation à l'évolution mondiale du médicament implique la mise à disposition de la Pharmacie de moyens humains et matériels plus conséquents. Envisagée comme une haute administration de santé, l'agence en charge de ce défi, car c'en est un, aurait la responsabilité de l'espace sécurité santé (lié aux médicaments et produits assimilés) et, par extension, aux produits à statut hybride (aliments médicaments). Cette configuration est d'autant plus évidente et souhaitable que les établissements (Laboratoire national de contrôle - Centre national de pharmaco-vigilance et materio-vigilance -Centre national de toxicologie) et les unités d'essais cliniques destinées à être érigées en centre national des essais cliniques, ont toujours été envisagés comme les fondations de cette haute autorité: l'Agence dont nous venons de tracer les contours. En coiffant ces différentes structures, cette Agence permettra une meilleure appréciation des actions engagées en reliant, d'une part, les décisions inhérentes au suivi des produits pharmaceutiques des différents établissements et, d'autre part, en transformant les expertises et décisions techniques de ces mêmes établissements compétents en décisions administratives. Sans être la panacée, cette Agence permettra en tous cas de créer une Autorité sanitaire libre de toutes pressions et insensible aux turbulences politiques ou économiques. (*) Ancien directeur central de la Pharmacie et des équipements du ministère de la Santé.