Benjamin Stora estime que c'est la première fois que la France reconnaît officiellement sa responsabilité dans les massacres d'Algériens. La France officielle semble vouloir revoir quelques pages, des plus sanglantes, de sa présence coloniale en Algérie. C'est du moins ce qu'on peut supputer de la conférence, tenue, dimanche dernier, à l'université de Guelma, par l'ambassadeur de France en Algérie, Bernard Bajolet. Revenant sur les crimes commis par la France, lors des sanglants événements du 8 Mai 1945, M.Bajolet avait déclaré: «Aussi durs que soient les faits, la France n'entend pas, n'entend plus les occulter. Le temps de la dénégation est terminé.» La phrase n'a pas été lâchée fortuitement, et n'est pas un simple fait du hasard. Pour l'historien français, et non moins spécialiste de la guerre d'Algérie, Benjamin Stora, «c'est la première fois que la France reconnaît officiellement sa responsabilité dans les massacres d'Algériens en Mai 1945». Dans une interview accordée, lundi, au journal 20 minutes, M.Stora a indiqué: «Non seulement, l'ambassadeur a qualifié les faits, en parlant de massacres, mais il a reconnu la très lourde responsabilité des autorités françaises de l'époque dans ce déchaînement de folie meurtrière qui a fait des milliers de victimes innocentes, presque toutes algériennes.» Le bilan était très lourd. Les historiens l'estiment à 15.000 morts, tandis que la mémoire populaire parle de 45.000 personnes massacrées lors des manifestations de rue qui ont principalement eu lieu à travers les trois villes de l'est du pays, Sétif, Guelma et Kherrata. La réaction des autorités coloniales était d'autant plus sanglante qu'elle a laissé des séquelles indélébiles dans la mémoire populaire algérienne. Pis encore, les autorités coloniales ayant fait le bilan de ces événements avaient, selon des historiens, camouflé l'affaire en dissimulant le rapport élaboré par la Commission d'enquête mise en place à cet effet. Il est vrai, maintenant comme diraient certains, que l'Histoire est «faite de cendres et de sang», néanmoins la braise n'est pas tout à fait éteinte. L'Histoire a toujours fini, et finit toujours par rattraper les plus malins. En ce sens, Benjamin Stora a rappelé que le prédécesseur de Bernard Bajolet, Hubert Colin de Verdière, «avait seulement évoqué en 2005 une tragédie inexcusable». Pour Benjamin Stora «reconnaître la blessure de l'autre, c'est déjà une étape importante». Par ailleurs, la chaîne publique France 2 diffusera le 8 mai prochain, un documentaire consacré à ces massacres. L'autre 8 Mai 1945, titre du documentaire réalisé par Yasmina Adi, se présente comme une enquête sur ce crime contre l'humanité. La réalisatrice fait appel à des témoignages d'acteurs de premier plan et à des documents inédits, tels que les rapports secrets des services de renseignements britanniques et américains. Le documentaire, d'une durée de 53 minutes, qui sera diffusé en troisième partie de soirée, adopte un nouvel angle d'attaque pour permettre au téléspectateur de découvrir l'ampleur et la sauvagerie de la répression coloniale. Ce film permettra, en outre, de comprendre que ce douloureux événement, loin d'être de «simples émeutes de la faim», comme l'avait présenté la presse coloniale de l'époque, fut une véritable action d'extermination d'un peuple qui a manifesté - jour de liesse de la victoire des Alliés à laquelle les Algériens ont largement contribué - pour revendiquer son droit à la liberté et à l'indépendance.