Le projet, trop ambitieux et vaguement dogmatique, risque fort de finir en queue Il a fallu moins d'une année à Noreddine Boukrouh pour finaliser son plan de privatisation. Il faut dire qu'il n'est pas allé chercher loin ses idées puisque une nouvelle fois tout est à vendre. Le plan de son prédécesseur, Hamid Temmar, plus ou moins relooké, a été remis au goût du jour. Le document, sur 25 pages à peine, a été adressé, il y a de cela quelques jours, aux partis politiques et partenaires sociaux ce qui a eu pour effet de soulever un tollé quasi général. Cette levée de boucliers, semble-t-il, trouverait son origine dans deux faits primordiaux. Le premier est qu'aucun secteur ni aucune entreprise n'échapperont à la vente ou à la liquidation. La seconde, qui apparaît dès les premières lignes du document, a trait au caractère «dogmatique» de la démarche de Boukrouh puisqu'elle se donne pour «objectif économique et politique», dès les premières lignes du document, «la réaffirmation des choix de l'Etat en faveur de son désengagement de la sphère économique et des activités concurrentielles». Un peu plus loin, toujours en préambule, le document dont nous avons réussi à obtenir une copie, explique les grandes lignes de ce plan à travers «la dissolution d'entreprises et la fermeture d'unités en situation de liquidation au nombre de plus d'un millier (mais aussi) la transformation juridique d'entités économiques viables ou potentiellement viables afin de les doter des statuts permettant leur mise sur le marché». Entendre par là le processus de filialisation via le passage par des statuts de SPA ou d'EURL. Ce plan prévoit, entre autres conséquences inéluctables, «la libération de plus de 250.000 travailleurs dans le cadre des départs à la retraite, des licenciements économiques et des essaimages». Ce qui semble «clocher» dans le plan de Boukrouh, de l'avis de nombreux acteurs politiques et sociaux consultés, c'est que «le document lui-même paraît conseiller aux éventuels repreneurs de s'en abstenir, à moins que l'objectif ne soit de brader le patrimoine national au profit de certains gros bonnets dans le cadre du blanchiment de l'argent sale détourné durant les décennies passées». Le document, en effet, estime que la stabilisation des indices macroéconomiques n'est due qu'aux cours, particulièrement favorables du pétrole représentant, faut-il le rappeler, 97% des ressources algériennes en devises. L'embellie, toute relative donc, de certaines entreprises publiques, ne serait que conjoncturelle. Cela, a fortiori que l'accord avec l'UE, dont les premières conséquences commenceront à se faire sentir en 2004, contribuera à réduire les capacités des entreprises publiques déclarées toutes incapables de faire face à la concurrence qu'exerceront les grandes firmes du Vieux continent. En revanche, cette démarche, à en croire son concepteur, répond au souci de garantir un développement économique durable à moyen et long termes en mettant les entreprises publiques entre les mains d'opérateurs privés et étrangers qui soient «en mesure de fournir les prestations dans des conditions d'efficacité et de qualité supérieures». Afin de mettre toutes les chances de son côté, et donc pour ne pas subir les «flops» déjà endurés par son prédécesseur et par le défunt CNP du Dr Mebtoul, Boukrouh annonce que «pour créer une dynamique favorable aux privatisations, il faut d'abord mettre sur le marché des entreprises attrayantes, susceptibles de trouver rapidement des preneurs». Les fleurons de l'industrie nationale, de ce qu'il en reste du moins, passeront donc les premiers par les avis d'appels d'offres, ou peut-être même par les contrats de cession de gré à gré. S'agissant des modalités pratiques, en effet, il sera question de quatre procédés distincts. Le premier a trait à la vente de titres sociaux soit par le biais des appels d'offres soit par celui de la Bourse. Cette méthode englobe également l'ouverture de capital par souscription d'actions nouvelles pour les entreprises importantes et financièrement très saines. Le deuxième concerne la cession d'actifs physiques par appels d'offres national et international. Le troisième, relatif aux moyennes entreprises, se fera de gré à gré. Il concernera les unités trop handicapées financièrement et dont l'assainissement coûterait des sommes trop élevées au Trésor public. Ce sont donc, il faut le croire, ce genre d'entreprises qui seraient proposées au bradage contre le fameux dinar symbolique. Le quatrième, enfin, achoppera sur ce que le concepteur du projet appelle une «concertation avec les différents intervenants dans la chaîne de privatisation». En outre, et même si le projet parle de renflouement des caisses de l'Etat à travers cette opération de grande envergure, il ne fait aucun doute que ces prévisions peuvent s'avérer loin de la réalité, de l'avis même de nombreux experts qui indiquent, à l'appui du document de Boukrouh lui-même, qu'une partie non négligeable de ces cessions se feront sous forme de reconversion de la dette extérieure algérienne. Il y a même lieu de relever que ce programme, dans un premier temps, sera drivé par la Banque mondiale elle-même, ce qui veut tout dire. S'agissant des entreprises concernées, aucun secteur ne sera épargné. Ainsi, toutes les entreprises du BTPH, au nombre de 100 et employant plus de 100.000 personnes seront soit vendues, soit liquidées, soient cédées au profit des travailleurs. Idem pour les entreprises manufacturières avec près de 50.000 employés et qui font face à une concurrence très féroce. Les Eriad font partie de ce lot en perte de vitesse. Les grandes filiales de la sidérurgie, de la métallurgie, de la mécanique et de l'électronique sont trop grandes pour être acquises par un quelconque repreneur, d'autant que leurs équipements, jamais renouvelés depuis des dizaines d'années, ont atteint un état d'obsolescence qui ne risque pas d'intéresser grand-monde. Elles devraient, donc, faire l'objet de contrat de partenariat comme cela a été le cas pour Ispat et Sider. Seront également concernés Socothyd, Agenor, toute l'industrie pharmaceutique, y compris Saidal, mais aussi le secteur des transports qui sera, lui, cédé aux employés du secteur. L'industrie minière, qui a déjà bien progressé dans ce domaine, devrait être entièrement cédée aux exploitants privés selon le programme de Noureddine Boukrouh. Tous les hôtels, y compris les plus luxueux et les stations thermales feront l'objet d'ouverture de leurs capitaux, comme cela a déjà été le cas pour l'hôtel El-Aurassi. L'Encg et l'Enasucre, qui ont perdu la quasi totalité des parts de leurs marchés, devraient trouver des repreneurs dans les plus brefs délais sous peine de subir une liquidation quasi certaine. Les banques et les compagnies d'assurances, enfin, seront privatisées suivant un plan de charge plus rigoureux dans lequel seraient impliqués des organismes financiers internationaux et/ou étrangers. Le document demeure très discret sur ce sujet, même s'il insiste particulièrement pour dire que la privatisation des organismes financiers est un préalable indispensable pour rassurer les investisseurs et leur confirmer que l'Algérie est bel et bien engagée, sans retour, sur la voie de l'économie de marché.