Bureaux de vote fermés, sit-in, grèves, émeutes et violences ont accompagné le scrutin d'avant-hier. Fermée, depuis mardi dernier, la Kabylie a vécu un scrutin exceptionnel. Jeudi, escarmouches, émeutes, douleurs et colère extrêmes ont accompagné les législatives de ce 30 mai. Tôt le matin, le chef-lieu de wilaya faisait peur. Rues vides, magasins, cafés, institutions fermés. Le décor d'une journée particulière est planté. Huit heures, ouverture des centres de vote. Premiers accrocs, de tous les coins de la wilaya arrivent des nouvelles guère «affriolantes». A Aïn El-Hammam, la population a refusé l'installation du centre de vote, des escarmouches ont commencé à être observées. A Iferhounène, Illilten, Akbil, Béni Yenni, bref dans tous les villages et les petites villes de l'Est de la wilaya, on signale qu'aucun bureau de vote n'était opérationnel, dès la première heure. Les encadreurs réquisitionnés n'ont pas rejoint leurs postes. La population se disant «prête à tout pour que les élections ne se tiennent pas!» Fort heureusement, en beaucoup de ces endroits, les services de sécurité ont préféré jouer à la non-provocation. Les accès vers beaucoup de villes et villages de l'intérieur sont difficiles, voire impossibles. Les routes bloquées, le transport quasi inexistant. Abi-Youcef, Aït-Yahia et les autres régions de la Haute-Kabylie se considèrent comme «des régions non concernées par les élections». Le même phénomène de rejet est observé dans la Kabylie maritime. Certes, dans les villes de Tigzirt et Azeffoun et les daïras de cette région Makouda, Ouaguenoun et autres lieux la grève était respectée par tous les bureaux de vote. Tigzirt comme Azeffoun étaient des villes mortes. Quand par pur hasard, l'on rencontre un centre de vote ouvert, on aperçoit que seule la police peuple les lieux. A Tigzirt, sur cinq bureaux de vote installés à l'école primaire du centre 1 seul était ouvert, mais sans aucun encadreur, plus tard, il a été décidé de le fermer. A Azeffoun, aucun centre de vote n'a pu être installé, aucun signe d'élection n'a été remarqué. Dans le massif central kabyle, le décor a quelque peu changé. Ainsi, à Tadmaït, la population a investi le centre de vote installé à l'école Bayou. Les listes de vote, les bulletins et les urnes ont été saccagés. Les mêmes scènes ont été observées à Draâ Ben-Khedda, chef-lieu de daïra les manifestants ont «investi» les écoles Boufatis, Roumane et Ahmed Khellil, s'emparant des urnes et du matériel électoral. L'école Ameur - Saïd solidement gardée n'a pu être prise par les émeutiers malgré les assauts répétés. A signaler que lors de ces «assauts» enregistrés un peu partout, contrairement aux autres émeutes, cette fois-ci, c'est toute la population qui a mis la main à la pâte. Le refus est loin d'être juvénile. A Boghni, deux centres ont été installés, le premier dans une école primaire près du quartier de Tirmitine et le second à l'école de garçons du centre-ville. La population a commencé par organiser des sit-in devant ces centres, avant que la foule ne bascule dans l'échauffourée. A Mechtras, qui bouillonnait la veille, aucun centre de vote n'a pu être installé. Alors qu'à Draâ El-Mizan, la tension électrique depuis la veille a basculé dans l'émeute. On y signale un regrettable accident. Des jeunes ont tendu en travers de la route, au-dessous du tribunal, un fil de fer, on annonce qu'un camion militaire n'ayant pu éviter l'obstacle a capoté, heureusement, on ne signale aucune victime. A Tizi-Gheniff, on parle également d'émeutes. Mais c'est à Maâtkas que la colère a été la plus intense. Les émeutes ont fait six blessés dont un dans un état grave. Des foyers de tension sont signalés également à Azazga, coupée du monde, avec l'impossibilité de joindre cette ville ni par route ni par téléphone. En Haute-Kabylie, c'est Larbaâ Nath-Irathen qui est le point le plus chaud. Des émeutes d'une violence extrême y ont été enregistrées. On signale un décès, selon les uns par balles réelles et selon les autres par arme blanche. La mort de Youcef Khodja a «comme galvanisé» ses camarades qui ont redoublé de colère. A Béni-Douala, on évoque le cas de l'enfant Smaïl Boukemch, 12 ans, qui aurait perdu un oeil. Tizi Ouzou-Ville, début d'après-midi, la rue principale est effrayante. Remplie des seuls échos de fureur parvenant du carrefour devant l'ancienne mairie, le tout écrasé par une chaleur étouffante. Aucun passant. Tout le monde reste calfeutré chez soi. Les foules habituelles ont perdu l'usage, de la ville durant cette longue grève. Jusqu'aux vendeurs de cigarettes qui sont, eux aussi, introuvables. Il faut également signaler l'absence de journaux. La Kabylie, forte consommatrice de journaux, en est privée depuis 2 jours. Devant les centres de vote les émeutes battent leur plein. Les urnes sont souvent dérobées et incendiées la cité Les Genêts, le quartier M'douha, l'école Saïd-Doukkar et l'école Haouchine, ainsi que d'autres bureaux de vote sont assiégés par les émeutiers. Les bombes lacrymogènes et les projectiles de toutes sortes sont généreusement échangés. Dans certains centres de vote, à peu près calmes, on essaie d'y accéder. Des responsables vous donnent tous les renseignements possibles, mais ne laissent pas la presse pénétrer dans les bureaux. Le leitmotiv qui revient dans la bouche des uns et des autres, quand on demande quelques résultats, est, généralement, zéro-vote. Vers 11 heures, on signale 10 votants au bureau installé à l'APC, 2 votants à l'école Mimoune, 17 votants à la Nouvelle-Ville. L'affaire semble entendue, la Kabylie n'a pas voté. Au centre de presse de la wilaya, les journalistes et les CNS, casés pratiquement ensemble, se marchent sur les pieds. On annonce la visite de trois parlementaires européens. Après avoir été reçus par le wali, avec lequel ils ont surtout discuté de la situation, ces parlementaires, peu après, sont allés en ville pour se rendre compte, de visu, de l'évolution de la situation. Vers 15 heures, un premier sondage tombe, le taux de votants est de 1,69%, un taux qui progresse légèrement à 1,78% à 15 heures et il reste figé, au moment de la clôture à 1,84%.