Voilà un homme dont l'arrivée au perchoir ne s'est pas faite sur un sampan. Militant de base, il n'a pas attendu des lustres pour se hisser jusqu'au bureau politique du FLN tout en assurant, parallèlement, la responsabilité de ministre du Travail. L'intelligence aidant, on dit qu'il est capable d'impulser la dynamique indispensable à restaurer le respect et la considération dus à l'APN, des qualités qu'elle a perdues au fil des législatures. Karim Younès serait-il le premier échantillon issu du rajeunissement du FLN? Pourquoi pas si d'autres cas pouvaient être signalés dans la foulée. A l'approche des élections législatives au sein du FLN, l'atmosphère était plutôt mitigée. D'instinct, les conservateurs craignaient de provoquer les foudres de l'opinion. Ils focalisaient encore sur les émeutes d'Octobre 88. Frileux, mais sensibles par inclination aux gratifications du pouvoir, ils ont toujours regardé vers la présidence de la République, cet autre bureau des récompenses imméritées, en espérant qui une ambassade pour terminer ses jours sous les lambris, qui une sinécure, etc. On était alors à quelques semaines de la campagne et il fallait jouer serré. En particulier à Alger où le taux de participation n'a jamais dépassé les 14% depuis 1965. A quelques semaines de la campagne, le siège du parti à Hydra ne désemplissait pas. Il est même arrivé à Ali Benflis de s'entretenir des nuits entières avec des délégations venues des quatre coins du pays pour leur expliquer, entre autres aspects novateurs, le sens du rajeunissement et surtout l'appel lancé aux intellectuels et cadres supérieurs à venir renforcer les rangs du FLN. C'est à ce moment-là qu'observateurs et politologues ont commencé à croire que quelque chose de profond était en train de naître. Dans l'intermède, le bureau politique se réunissait aussi souvent que l'exigeait l'architecture politique imaginée par le FLN pour sortir le pays de la crise. La même tâche échut à Karim Younès, alors ministre de la Formation professionnelle, peu après que Ali Benflis eut annoncé qu'il ne se présenterait pas au scrutin du 30 mai au motif qu'il fallait d'abord qu'il démontre ce dont il était capable pour faire adhérer aux idées du FLN «nouvelle formule» le plus d'Algériens possible. A cet instant précis, Karim Younès ignorait tout du destin qui allait être le sien. Comme un secret bien gardé vaut parfois de l'or, Ali Benflis s'était interdit de le partager avec quiconque. Une chose se sut, en revanche, immédiatement, à savoir que Karim Younès dirigera la campagne électorale à Alger. Sans autre indication. Au même moment, les premières indications sur les intentions de vote arrivant, Ali Benflis estimait que si le FLN, dans son redéploiement national, devait remporter 130 à 140 sièges, il n'aurait pas les coudées franches pour pouvoir décrocher la présidence du perchoir qu'il considérait, et c'était bien avant la campagne, comme objectif à atteindre impérativement. Or, avec seulement 130 ou 140 sièges, faire l'appoint. Tout le temps, ce qui n'aurait convenu à personne. D'où les nouvelles directives adressées aux 48 mouhafadas du pays pour accentuer la mobilisation. Ratisser large, c'était désormais le nouveau mot d'ordre. Les membres du bureau politique furent aussitôt mis à contribution. On en était alors à la phase de dépôt de candidatures, la base du FLN ne s'étant pas encore prononcée sur les listes définitives. Karim Younès se mit au travail, aidé en cela par une action de remobilisation que Ali Benflis avait lancée hors les structures traditionnelles du FLN à Alger et sur laquelle il comptait bien pouvoir rapprocher du parti tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, s'étaient éloignés du FLN au fil du temps. On connaît le résultat. Ali Benflis, qui suivait d'heure en heure les actions de l'offensive de mobilisation des militants du FLN à travers le pays, s'aperçut alors que Karim Younès avait abattu de l'excellent travail à Alger. Tout cela dans la discipline et sans se demander pourquoi sur la liste d'Alger (32 candidats) du FLN, le nom du numéro 1 n'apparaissait pas dans la case qui lui était réservée. Puisque Ali Benflis ne se présente pas. Alors! La veille de la phase de dépôt de candidatures, Karim Younès, comme l'ensemble des membres du BP, se réunit à Hydra pour débattre du nombre inhabituel des candidatures enregistré par les kasmas. Un véritable raz de marée. C'était le premier point à l'ordre du jour. Le second, qui conduirait la liste d'Alger? Les préliminaires évacués, Benflis, qui préside la séance, lui demande poliment de sortir de la salle. Younès s'exécute ne sachant d'ailleurs ni s'il allait être réprimandé ou congratulé pour le travail qu'il venait d'accomplir. Une chose est sûre, il était convaincu qu'il ne pouvait s'agir d'autre chose. L'aparté du BP dure environ 20 minutes. Et à son issue, Karim Younès a été rappelé dans la salle pour s'entendre signifier qu'il venait d'être choisi comme numéro 1 pour Alger. La campagne électorale commence. 37 wilayas visitées et autant de discours prononcés par Ali Benflis. Le secrétaire général du FLN en profite pour rencontrer plus de cinq cents journalistes, sans parler des discussions qu'il a eues spontanément avec des dizaines de personnes rencontrées au hasard des cafés qu'il avait tenu à visiter pour se rapprocher des citoyens. L'installation toute récente de la nouvelle APN permet à Karim Younès d'accéder au perchoir avec 271 voix, dont 1999 émanant de sa seule formation. Qui dit mieux?