Mohammed VI vient-il de payer un enterrement de première classe à l'UMA? L'interrogation n'est pas seulement protocolaire dans la mesure où beaucoup de faits peuvent, ou pourront, découler de cette décision du monarque chérifien, que l'on peut estimer, mûrement réfléchie, de ne pas assister aux travaux du Sommet d'Alger. Car les incidences du report de cette réunion des chefs d'Etat de l'UMA, prévue les 21 et 22 juin, pèseront lourdement sur le devenir d'une Union plus que jamais prise en otage par les diktats des uns ou des autres. Certes, il a toujours été affirmé que l'UMA était partie sur de mauvaises bases et ses assises fragilisées par la règle du consensus qui attribuait un «veto» de fait à ses membres. Cette anomalie dans les statuts de l'Union maghrébine a déjà été ressentie en 1995 lorsque Rabat avait décidé de demander le gel des activités de l'UMA, en «représailles» au fait que le président Zeroual ait eu «l'outrecuidance» de rappeler (en 1995) au comité de décolonisation de l'OUA, qui venait de s'autodissoudre, qu'il y avait toujours la question du Sahara occidental qui était en suspens. Membre de cet organisme, l'Algérie était en droit de rappeler à ce comité qu'il y avait encore, en Afrique, un territoire qui ne jouissait pas de son indépendance. Ce sont là des fait d'histoire. Reste que les experts qui, à l'époque de sa création, ont fixé les règles de l'Union du Maghreb arabe, l'ont dans le même temps alourdie du boulet de l'unanimisme, condition sine qua non, pour toute démarche au sein de l'UMA. Aussi peut-on estimer que l'existence de l'Union ne répond pas, en définitive, comme ne cessent de l'affirmer les dirigeants maghrébins, à des choix stratégiques clairs, mais n'est que la résultante des desiderata des uns et des autres. Ce qui eut lieu d'ailleurs en 1995, lorsque, par son seul vouloir, le défunt roi Hassan II a décidé de faire geler les activités de l'Union. Lesquelles activités n'ont pu reprendre de façon assez timides que depuis une année. Dès lors, l'une des fonctions attribuées au sommet, qui devait se tenir à Alger, était essentiellement de rétablir, non point un consensus , en réalité inexistant, mais bien un certain climat plus serein qui prenne d'abord en compte les intérêts des peuples du Maghreb et ceux d'un développement intégré de la région. Le Maroc, longtemps candidat à l'Union européenne, a, dans de multiples occasions, montré qu'il avait peu d'estime pour l'UMA, laquelle à l'évidence ne constituait pas pour Rabat la préoccupation majeure. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à vérifier le fait que le Maroc, sur les 37 accords de partenariats réalisés dans les cadre de cette institution, n'en a signé jusqu'à présent que cinq. Un chiffre ridicule, alors que le nombre d'accords auxquels sont parvenus les Maghrébins au bout de treize années «d'union» est tout simplement absurde. De fait, l'UMA est conçue, ou a été comprise, comme une sorte d'auberge espagnole ou chacun est assuré d'y trouver ce qu'il a lui même apporté. L'UMA promettait monts et merveilles, mais de par le fait d'un nationalisme étroit est restée bloquée dans les starting-blocks. La zone franche, l'Union douanière, la libre circulation des biens et de personnes, la suppression des frontières internes au Maghreb, la monnaie unique maghrébine, autant d'initiatives qui laissaient présager un Maghreb, fort de ses atouts, capable de résister à la mondialisation, à la redistribution économique qui s'est faite ou se fait au détriment des plus faibles. L'enjeu stratégique d'un Grand-Maghreb aurait dû faire taire des différends qui pouvaient largement être solutionnés à l'intérieur d'une Union du Maghreb arrivée à maturité. Depuis Zéralda en 1988 et l'officialisation de l'Union à Marrakech en 1989, l'UMA aurait dû trouver la cohésion à même de lui faire dépasser les questions problématiques comme celle du Sahara occidental. Les Marocains ont choisi autrement en plaçant les relations intermaghrébines au plan du rapport de force. En décidant de ne pas venir à Alger pour assister au sommet, le souverain marocain a donné une nouvelle déchirure au contrat de l'Union dont les retombées sur le devenir de l'UMA demeurent imprévisibles. En effet qui pourra prédire quand un nouvel sommet de l'Union sera à nouveau organisé? En liant le contentieux du Sahara occidental au fonctionnement de l'Union, Mohammed VI a-t-il en fait réalisé un enterrement de première classe de l'UMA? Telle est la question!