Le roi du Maroc aurait-il prémédité une diversion en envoyant des «troupiers» sur l'île Persil? Il y a quelques jours, le gouvernement marocain prenait la décision de dépêcher, pour l'occuper symboliquement, 10 soldats de son armée sur une île peu éloignée du rivage septentrional du pays. C'est sans doute ce qu'il ne fallait pas faire. En effet, les dix hommes de troupe avaient à peine touché la terre de l'île Persil (Leïla) qu'une première salve de critiques fusa d'Espagne, attisée instantanément par la presse madrilène qui, par ailleurs, ne perdait pas espoir de voir rapidement la raison reprendre le dessus entre les deux pays. En cherchant à savoir qui a raison et qui a tort, on s'est trouvé au centre d'un conflit diplomatique qui date et sur lequel les avis n'ont jamais autant été divergents. Pour ce qui est du Maroc où un heureux événement est venu mettre fin aux pressions de toutes sortes qui s'exerçaient sur le roi et la couronne chérifienne depuis la mort de son père, le mariage de Mohammed VI constitue la conclusion somptueuse d'un dénouement plein d'espoir. Le roi du Maroc aurait-il prémédité une diversion en envoyant des troupiers sur l'île Persil? Si c'était le cas, son initiative n'a pas manqué d'être interprétée comme une provocation vis-à-vis de Madrid qui est resté très chatouilleux sur la question de la décolonisation des présides. Pour un grand nombre d'observateurs, il s'agirait plutôt d'un ballon-sonde visant à tester les dispositions du gouvernement espagnol sur la question de Ceuta et Melilla et leur retour tant espéré par Rabat dans le giron marocain. Jusqu'ici, toutes les spéculations n'ont servi qu'à amplifier l'inimitié née de ce problème de décolonisation après que l'Espagne, dont la classe politique, après une longue période de réflexion sur la question «sahraouie», avait finalement décidé de se ranger aux côtés du Front Polisario, gelant du coup l'accord tripartite conclu en 1975 entre l'Espagne, la Mauritanie et le royaume chérifien. La technique est aussi vieille que les Etats. Quand un gouvernement se sent débordé par les problèmes internes qu'il ne peut résoudre, il crée une diversion en détournant l'attention de son opinion publique en essayant d'user «de la montagne qui accouche d'une souris» sans y perdre son honneur. Crier haro sur l'étranger constitue parfois la seule ressource disponible qui reste à un roi pour reporter les échéances indispensables au retour à la normale dans son pays, quand les conditions de vie deviennent pour la population de plus en plus oppressantes. C'est vrai que le Maroc de Mohammed VI est soumis, depuis quelques mois, à une double pression: une économie qui bat de l'aile et une démultiplication exponentielle des réseaux islamistes sur le territoire marocain dont la propagande royale a toujours tendu à minimiser l'importance. Deux maux qui, sans susciter de remous dans l'opinion marocaine, ne peuvent s'accommoder des dépenses somptuaires du roi Mohammed VI qui a finalement décidé de convoler en justes noces pour faire cesser les pressions exercées sur lui par le Makhzen, qui, dès le principe, aurait voulu le voir se décider à procréer pour assurer la pérennité de la couronne. Un mariage ça coûte beaucoup d'argent à ce niveau de la société chérifienne. Or, des dépenses aussi importantes en période de crise multiforme, voilà qui a pu inciter les conseillers du monarque à lui recommander la création de toutes pièces du feuilleton de l'île Persil auquel, par ailleurs, le gouvernement Aznar n'a pas manqué de faire remarquer qu'il tenait à l'île Persil autant qu'à la prunelle de ses yeux. Aznar, ayant demandé un retour sans tarder au statu quo anté, qu'en pensent les Marocains? Pris jusqu'ici par les festivités de ses épousailles, le roi Mohammed VI n'a pas répondu à la note verbale que lui ont adressée les Espagnols au sujet du débarquement sur l'île Leïla-Persil par des soldats des forces armées royales. Que faire dans ce cas pour en savoir plus? La plus sage des décisions serait d'attendre que le roi Mohammed VI émerge du rêve que lui offre la perspective de pouvoir concevoir à terme un héritier pour la couronne. Même si, en attendant, le contentieux maroco-espagnol reste entier et les spéculations qui le concernent iront en s'amplifiant.