«Moi, je vote pour choisir l'homme qu'il faut afin que l'Algérie se remette debout.» Jeudi, huit heures précises. A l'instar de leurs concitoyens, les habitants du «triangle de la mort», Meftah, Larbaâ et les Eucalyptus sont appelés à se rendre aux urnes pour élire un nouveau Président. Cette matinée électorale pluvieuse commence lentement et on ne se bouscule pas à l'urne. Les centres de vote ne grouillent pas de monde. Les citoyens semblent occupés par d'autres soucis et ont d'autres préoccupations. La question de vivre avec un pouvoir d'achat dérisoire, accentué récemment par une flambée des prix des fruits et légumes sans précédent, a «éclipsé» cet événement majeur qu'est celui d'élire le locataire d'El Mouradia. «Comment voulez-vous que je porte un intérêt à ce scrutin, moi qui fouine quotidiennement dans des dépotoirs pour assurer ma nourriture. Et si je me nourris le jour, j'en suis privé le soir?», s'interroge Fayçal, condamné au chômage. Et de laisser déferler une phrase «glaciale» qui lui reste en travers de la gorge: «L'Algérie est noyée dans un étang boueux. Le remède relève de l'utopie.» Ce sont les personnes âgées qui se sont précipitées pour accomplir leur devoir électoral. Pour le reste, l'événement ne semble pas susciter un réel intérêt. «Pourtant, il s'agit d'élire le Président de la République. Je ne comprends pas ce désintéressement», s'étonne Lamine, propriétaire d'un taxiphone. Ce sont plutôt les cafés, boutiques...et salles de jeu qui ne désemplissent pas. Rencontré dans un café au centre-ville de Meftah, un quadragénaire nous répond sans détour: «Il est difficile de "cueillir" les électeurs de leur profond sommeil.» Ceux qui se sont réveillés ont d'autres soucis. Ils préfèrent revivre les meilleurs moments d'une soirée footballistique européenne qui s'est déroulée mercredi. Les jeunes parlent également des sujets du baccalauréat et du Service national. Ceux qui ont accompli leur devoir, l'ont fait à des fins lucratives. «J'ai déposé un dossier au niveau de l'Ansej, ma carte doit être cachetée», a lancé Lounès, natif de la Grande Kabylie. Et à Walid de rétorquer: «Moi, je vote pour choisir l'homme qu'il faut afin que l'Algérie se remette debout.» Les personnes âgées, quant à elles, évoquent l'aspect sécuritaire dans leurs discussions. Le souvenir est douloureux. On se souvient des tueries et des actes barbares perpétrés au niveau de cette région où le terrorisme avait coupé le souffle aux habitants. «On vit toujours avec la peur au ventre. J'aime mon pays et je veux accomplir mon acte...Cependant, je ne vois pas l'utilité. J'ai du respect aux six candidats mais...En 2009, je ne suis pas à l'abri d'un éventuel assassinat parce que j'ai refusé d'abdiquer aux menaces terroristes durant la tragédie nationale. On m'en veut d'avoir enseigné la langue du "colon": le français.» La plaie demeure ouverte. Le témoignage est vivant. Il émane d'un enseignant qui s'apprête à mettre fin à une carrière brillante. Les minutes passent, les aiguilles de la montre indiquent 13 heures. Les électeurs commencent à se rendre aux urnes. Mais il n'y a pas foules. Même atmosphère aux Eucalyptus, ou presque. C'est plutôt la pomme de terre, qui est sur toutes les lèvres. Ceux qui sont venus aux urnes ont été unanimes. Sur 30 personnes interrogées, 26 veulent la continuité. Et de donner leurs voix à Bouteflika. Le parti d'El Islah, pourtant d'obédience islamiste, ne convainc pas l'ensemble de la population. Dans l'ensemble des bureaux, ce sont notamment les femmes qui viennent voter. Ces femmes, dont la souffrance se lit sur leurs visages ridés, sont surveillées de «près». Il n'était pas question qu'elles se rendent seules, «ni de lever la tête qu'une fois retournées chez elles», reconnaît l'un des jeunes, interrogés. A Larbaâ, les bureaux de vote des deux sexes sont séparés en deux pôles. «Ici, la femme est reléguée au second rang. Une bonne partie est voilée car le hijab lui a été imposé...», nous confie un jeune adolescent. La pilule est dure à avaler. Une heure plus tard, on se dirige vers d'autres centres où sont attendus des électeurs. Toujours pas d'afflux. La vie est ainsi faite. A chacun ses préoccupations. Même l'élection pour élire le chef suprême de l'Etat peut être reléguée au second rang.