L'armée thaïlandaise, qui a observé une certaine neutralité lors des émeutes de ces derniers jours, fini par intervenir énergiquement. L'entrée en action de l'armée thaïlandaise, qui a mis fin hier à des manifestations antigouvernementales dans Bangkok, souligne la place prépondérante des généraux en coulisse ou sur la scène politique en Asie du Sud-Est, selon des analystes. Ces derniers jours, alors que le Premier ministre thaïlandais Abhisit Vejjajiva était en difficulté, l'armée est venue à son secours. A trois moments critiques, y compris hier, ce leader, âgé de 44 ans, est apparu en direct à la télévision flanqué des principaux chefs des forces armées. Dans des pays comme la Thaïlande, les Philippines et l'Indonésie, de nombreux dirigeants civils ont bien appris la leçon: l'allégeance des militaires fait la différence entre leur survie ou leur chute, et il vaut mieux courtiser l'armée que se l'aliéner. Ici, «en politique, si vous êtes au pouvoir, vous devez impérativement avoir les légions de César de votre côté, pointant leurs lances non pas vers vous, mais vers l'ennemi», explique Rex Robles, consultant en risque politique à Manille. La corruption et la mauvaise gouvernance provoquent aussi des interventions de l'armée, souligne M.Robles, qui avait fait partie du groupe de jeunes officiers réformistes ayant mené une rébellion en 1986 contre l'ancien dictateur philippin Ferdinand Marcos. «La corruption aboutit à l'affaiblissement d'institutions comme la justice», note-t-il. John Harrison, spécialiste des questions de sécurité à l'université Nanyang de Singapour, explique que les populations d'Asie du sud-est se tournent vers les militaires en temps de crise car ils constituent une force organisée, disciplinée et armée. «Dans des pays qui sont à des stades précoces de développement économique, l'institution la plus robuste, c'est souvent l'armée», dit-il. La Thaïlande a ainsi été le théâtre de 18 coups d'Etat depuis l'abolition de la monarchie absolue en 1932. Le putsch légitimiste de 2006 contre l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra a prouvé que les militaires thaïlandais n'étaient pas prêts à s'effacer de la scène publique s'ils jugeaient «la nation en danger». En rendant le pouvoir aux civils seize mois plus tard, ils avaient cependant présenté leurs «excuses» pour les «désagréments causés». Aux Philippines, en dépit d'un engagement à retourner dans les casernes, des officiers avaient fomenté plusieurs putschs, après Marcos, contre Mme Corazon Aquino. Et l'ancien président Joseph Estrada, accusé de corruption et d'incompétence, avait été évincé à mi-mandat en 2001 après avoir été lâché par l'armée. En Indonésie, les militaires n'ont plus le droit de participer publiquement à la vie politique et doivent faire montre de neutralité. Néanmoins, plusieurs ex-généraux sont à la tête de formations qui ont participé aux législatives du 9 avril, au premier rang desquels le président actuel Susilo Bambang Yudhoyono, qui apparaît comme le grand favori pour la présidentielle du 8 juillet. Les militaires birmans au pouvoir depuis 1962 cherchent d'ailleurs, dit-on, à s'inspirer du modèle indonésien de «transition vers la démocratie». En 1990, en Birmanie, des élections pluralistes avaient donné une très large victoire à la Ligue nationale pour la démocratie (LND) de Mme Aung San Suu Kyi mais l'armée avait refusé d'honorer les résultats et l'opposante a été privée de liberté pendant la majeure partie des 19 dernières années. Selon des analystes, il sera difficile en Asie du sud-est de maintenir les armées dans les casernes «parce qu'ils ont déjà goûté au pouvoir», a expliqué M.Robles, en référence à d'anciens officiers nommés à de hautes fonctions civiles pour les récompenser de leur loyauté.