Notre reporter a investi les réseaux de harraga et nous raconte dans le menu détail comment s'effectue ce voyage de tous les dangers. Sur toute la rive sud de la Méditerranée, il existe aujourd'hui de véritables comptoirs d'un véritable commerce de jeunes candidats à l'émigration clandestine. Il s'avère que ces réseaux maffieux s'organisent de mieux en mieux à mesure que la misère s'accroît dans les pays du sud de la planète. Le marché devient lui aussi de plus en plus lucratif. Nous avons suivi les différentes étapes du démarchage commercial qui se déroulent dans le secret jusqu'à la dernière étape, à savoir la mise à l'eau de l'embarcation. Contrairement à l'idée répandue, le processus West n'est pas du seul ressort des gens du Sud mais il profite aussi à des traitants et sous-traitants du Nord. Suivons les pistes et les témoignages. Comment trouver les filons? En fait, le démarchage est très complexe. Les candidats qui désirent voyager ne s'affichent généralement pas et la vente des places se fait dans une grande opacité et avec autant de complexité. «Nous ne connaissons pas les passeurs mais les gens qui ont déjà voyagé sont connus», dira Tarek, plusieurs fois harraga mais toujours refoulé par les autorités de l'Hexagone. C'est là une première amorce pour comprendre le processus du démarchage. Dans les villes comme dans les villages, les jeunes qui désirent voyager sont repérés par des connaissances qui ont déjà tenté l'aventure. «Moi, j'ai été contacté par un ami qui sait très bien à quel point je veux partir de ce bled», affirme Hacène, recalé de l'examen du baccalauréat. La misère non seulement économique mais multidimensionnelle s'accroît et les victimes deviennent de plus en plus faciles à appâter. «Je propose des prix à mes connaissances qui veulent tenter l'aventure. Elles me payent mais je ne suis que l'intermédiaire», témoigne Samir. Il est donc aisé de recruter le nombre requis pour un embarquement. Cependant, l'autre étape s'avère aussi cruciale. L'argent doit aboutir aux concernés. Quels sont les prix? C'est un véritable marché où les tarifs sont connus. Ceux-ci sont évalués sur la base de la qualité du voyage. Dans le cas de voyages clandestins, qualité signifie moins de risque pour la vie des jeunes. «Si j'avais beaucoup d'argent, j'aurais choisi de voyager caché dans les soutes ou la cheminée d'un bateau comme Tarek Ibn Ziad», dit Hacène, stressé par les dangers d'une mer sans pitié et rongé par le désir de partir. En fait, ce jeune confirmait juste les témoignages de ceux-là mêmes qui ont eu la chance de trouver une place chère mais qui leur a assuré un voyage sans risque à bord d'un bateau qui embarque à partir d'un port. Le tarif dans ce cas n'est accessible que pour des privilégiés. «Pour ce genre de voyages, on m'a proposé de payer 400.000 dinars», reconnaît Saïd, un jeune diplômé universitaire au chômage. «Pour éviter une mort atroce en mer, je préfère trouver une affaire dans le commerce parallèle pour amasser rapidement cette somme», poursuit-il. Certains témoignages tout aussi surprenants font état d'un grand nombre de jeunes qui ont entamé des démarches auprès de l'Ansej pour obtenir un crédit, ensuite acheter et vendre le matériel et se payer le voyage. D'autres tarifs sont toutefois offerts mais présentent des risques inévitables. Un voyage sur un chalutier avec un capitaine digne de ce nom, pour ne pas dire le vrai, est cédé entre 100.000 et 200.000 dinars. Pour les plus démunis, les embarcations de fortune et un pêcheur qui veut prendre le risque coûte entre 50.000 et 800.000 dinars. Mais une fois l'argent versé comment s'organise ce voyage? Sur tout le littoral nord-africain Ce qui s'organise sur le littoral du sud de la Méditerranée est digne des comptoirs phéniciens dont témoignent les études archéologiques. Avec une seule différence: ceux-là étaient pour les marchandises mais ceux d'aujourd'hui, sont pour des êtres humains. «Les embarquements se font généralement de nuit et là où les gardes-côtes et la marine sont loin», révèlera un démarcheur qui refuse de donner son nom. Nous l'avons aussi questionné sur la destination de l'argent qu'il reçoit des voyageurs. «Le passeur doit d'abord encaisser avant de préparer le voyage», dira-t-il. Le degré du risque dépend du matériel mais aussi de la distance. Le littoral Ouest semble être un point de départ plus recherché pour sa proximité avec la rive nord du côté ibérique. C'est pourquoi, les plus importants comptoirs de sous-traitance sont basés dans la région d'Oran, Aïn Témouchent et à un degré moindre, Chlef. Du côté de l'est du pays, c'est la région de Jijel qui est privilégiée. Son littoral escarpé est le mieux indiqué pour des départs sans risques majeurs de se voir inquiétés. Des complicités européennes L'organisation de ce commerce ne se limite plus aux gens du Sud. L'importance du marché a fini selon des témoignages par attirer d'autres intervenants mais, cette fois-ci, des pays de la rive nord. «Les passeurs qui nous ont embarqués nous ont fait changer d'embarcation en pleine mer», raconte Slimane, jeune chômeur qui s'est fait prendre par la police espagnole sur une plage. «On nous a fait monter dans un autre chalutier conduit par des Espagnols en pleine nuit et à leur tour, ils nous ont emmenés jusque sur une plage en Espagne», poursuit-il. En effet, ce mode opératoire commence à devenir fréquent au grand dam des autorités européennes qui crient sur tous les toits la responsabilité des seuls gens du Sud. Ce phénomène n'est toutefois, et c'est chose nouvelle, pas pour plaire aux jeunes harraga. «Moi, je pense que c'est en grande partie pour cela que l'on se fait attraper, ces gens qui font le relais sont suspectés de travailler avec la police», affirme notre interlocuteur. Questionné sur le pourquoi de tous ces risques rien que pour partir et en payant le prix fort, notre ami a une réponse qui ressemble plus à une sentence. «Vous est-il déjà arrivé d'avoir plus crainte de l'avenir ici que de mourir en pleine mer?» nous a-t-il demandé. Enfin, ce voyage dans les circuits d'un commerce florissant pour des réseaux bien organisés, aura permis de comprendre que ce problème se pose de deux façons. Sur le plan international, c'est vraisemblablement une réponse d'un Sud injustement appauvri à un Nord riche et arrogant dans un contexte de mondialisation où les règles au départ de la course ne sont pas équitables. Sur le plan national, il se pose en termes d'injustice sociale, rendue plus dramatique par une mauvaise gestion de la richesse nationale par le passé.