A peine née, que déjà la CPI subit sa première grosse crise face au refus américain. La Cour pénale internationale, dont l'entrée officielle en vigueur avait été annoncée samedi par le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, promettait beaucoup, mais semble aussi devoir, face à la résistance américaine, revoir à la baisse ses ambitions. M.Annan a-t-il visé trop haut en estimant que tous les Etats et tous les peuples sont sur un pied d'égalité, lorsqu'il déclare que la Cour pénale internationale (CPI) nouvellement créée, «porte la promesse d'un monde où les responsables de génocide, de crime contre l'humanité ou de crime de guerre seront poursuivis en justice, même si un Etat individuel ne peut ou ne veut le faire». Aussi, le secrétaire général de l'ONU avait-il estimé que «cette occasion historique donne au monde la possibilité de dissuader dans le futur les auteurs d'atrocités.» Cela part à l'évidence du bon sentiment. Car les faits le démentiront rapidement lorsque les Etats-Unis opposeront leur veto (dans la nuit de dimanche à lundi) au Conseil de sécurité lors du débat sur le renouvellement du mandat de la mission de police des Nations unies en Bosnie-Herzégovine (Unmibh). Washington craint, en fait, que des soldats américains, qui font partie des 19.000 hommes de 46 nations actuellement en mission de police en Bosnie, tombent sous la jurisprudence de la nouvelle Cour pénale internationale. Dès les prémices de la mise sur pied de cette CPI, les Etats-Unis, suivis d'Israël, avaient refusé que leurs ressortissants soient jugés par cette cour à vocation mondiale qui aura à connaître de tout crime relevant de son cahier des charges. Selon l'acte fondateur du Statut de Rome (non officiel du traité de juillet 1998), cette cour aura autorité pour juger quatre types de crimes: génocides, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et «agressions», sa spécificité restant àdéfinir. A l'évidence, les Etats-Unis estiment que les citoyens américains se trouvent au-dessus d'une justice internationale appelée à juger, ou à connaître, dans le cadre de ses prérogatives, de tels crimes qui seraient imputés à des Américains. De même, pour les responsables américains, si tous les citoyens du monde sont passibles d'un jugement devant la CPI, cela ne saurait, selon eux, concerner les citoyens américains. En somme, une justice à deux vitesses, qui peut toucher tous les Terriens sauf quand ils sont Américains. La vision restrictive qu'ont les Américains de la CPI, ce qui les a amenés - en signe de protestation à son entrée en vigueur hier -, à mettre leur veto à la mission de l'Unmibh, a occasionné de nombreuses réactions parmi lesquelles celle du président en exercice de l'UE, le Premier ministre danois Per Stig Moeller qui «déplore profondément ce pas dramatique (veto américain) qui menace les opérations de maintien de la paix des Nations unies en général». Plus explicite, Human Rights Watch (HRW, organisation internationale de défense des droits de l'homme) par la voix d'un de ses responsables basé à Bruxelles, estime qu'admettre la revendication américaine «équivaudrait à une remise en cause totale de la CPI. Ce serait une bombe atomique lancée contre le concept de la justice internationale qui deviendrait totalement inopérante». Plus nuancés, les Britanniques tentent d'arrondir les angles. Déclarant comprendre l'attitude de Washington, le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, indique: «Nous ne partageons pas leur point de vue là-dessus, mais nous comprenons leurs inquiétudes.» Sur les traces des Américains, les Israéliens refusent, eux aussi, de ratifier le traité de Rome portant création de la CPI. Les Israéliens, conscients des nombreux crimes de guerre et contre l'humanité commis contre les Palestiniens, se trouvent ainsi sur la réserve comme le laisse entendre le conseiller juridique du gouvernement israélien qui déclarait, hier, en substance que (Israël) ne savait pas «qui seront les juges, les procureurs, la manière dont cette cour fonctionnera. Mais elle a qualifié dans ses statuts de crime de guerre tout transfert de population dans un territoire occupé. Or, une disposition pourrait s'appliquer aux colonies israéliennes ou à certains quartiers israéliens à Jérusalem». C'est en quelque sorte un aveu qu'Israël a peur, et n'a pas la conscience tranquille vu ce qu'il a commis en plus de cinq décennies dans les territoires palestiniens occupés. La CPI, supposée faire l'unanimité des nations pour réprimer les crimes atroces commis de par le monde, est partie, si l'on peut dire, du mauvais pied quand on constate que trois des détenteurs du droit de veto (Etats-Unis, Russie et Chine), outre Israël, n'ont pas ratifié le statut de Rome signé, jusqu'à hier, par 135 Etats et ratifié par 71 autres.