Les relations entre Alger et Paris sont appelées à évoluer sur la base de deux éléments objectifs: les exigences du développement économique et les contraintes géostratégiques qui s'imposent à notre pays. La France serait-elle disposée, dès lors que le choix du nucléaire civil comportant des risques industriels et financiers (et non pas politiques s'agissant de l'Algérie) qui n'ont pas encore été levés, à aider l'Algérie à préparer l'après-pétrole à des conditions préférentielles et de manière intensive? L'Algérie reste un partenaire dont la loyauté ne saurait être suspectée, dès lors qu'elle garantit l'approvisionnement régulier, en gaz naturel, de toute l'Europe du Sud. L'Algérie a besoin de préparer, dans les meilleures conditions, l'ère de l'après-pétrole et, pour ce faire, d'acquérir les technologies faisant appel aux énergies de substitution, telles l'énergie éolienne, l'énergie solaire, les biocarburants, etc. Elle doit aussi former des ingénieurs et des chercheurs capables de les utiliser à bon escient. Quant aux possibilités de développement des relations culturelles, elles sont évidemment immenses et tout esprit rationnel ne peut manquer de s'étonner que deux pays qui sont à un jet de pierre l'un de l'autre, n‘aient pas pu intensifier, en près de 50 ans, leur coopération culturelle (littérature, cinéma, théâtre, musique, archéologie, etc.). Pour le surplus, l'Algérie sous l'impulsion de Abdelaziz Bouteflika, est engagée dans un processus de réformes de l'Etats qui vise à adapter notre système institutionnel et administratif aux exigences de la mondialisation, à rationaliser les dépenses de l'Etat et assurer la bonne gouvernance des institutions publiques. Qu'il s'agisse des processus d'élaboration, d'exécution et de contrôle des lois de finances, des missions de la Cour des comptes (laquelle entre 1993 et 2001 a été dirigée par un grand ami de l'Algérie, Pierre Joxe, et depuis 2004, par un autre grand ami de l'Algérie, Philippe Seguin) qui peut fournir son expertise à la Cour des comptes algérienne quant à la certification des comptes de l'Etat, ceux de la sécurité sociale et demain des collectivités locales. Les autres domaines où le savoir-faire de la France serait d'une grande utilité pour l'Algérie sont: la lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée, la lutte contre la corruption active (l'Algérie occupait en 2008, le 93e rang avec une note de 3,2 sur 10). Mais tout cela dépend pour partie des autorités algériennes. Il y aurait, en tout cas, quelque paradoxe à vouloir plaquer obstinément sur les réalités algériennes spécifiques, par définition le droit et les procédures de l'administration française (jamais depuis l'indépendance le mimétisme juridique n'a été poussé aussi loin) et dédaigner l'expertise française qui permettrait d'en améliorer le fonctionnement et la fiabilité. Qui dit renforcement des relations bilatérales sur les plans économique, social et culturel, dit intensification des déplacements des personnes physiques qui sont les acteurs de ces relations. Les difficultés que rencontrent les Algériens qui ne sont pas candidats à l'émigration pour obtenir un visa, constituent un frein regrettable au développement des échanges et alimentent une frustration légitime. L'Algérie est disposée, pour sa part, à faciliter l'obtention des visas pour les Français qui se rendent en Algérie, mais il est indispensable que de son côté la France simplifie les procédures d'octroi des visas pour les Algériens qui se rendent en France, soit à titre professionnel, soit pour y poursuivre des études, soit pour visiter leurs familles, soit encore pour se soigner, mais sans intention aucune de s'y installer. Il est également important que les Français modifient un tant soit peu leur attitude à l'égard des Algériens, en se sens qu'il leur faudra se déprendre, comme le font les autres Occidentaux, d'une attitude souvent empreinte de condescendance et de paternalisme. Beaucoup d'entreprises françaises perdent des opportunités d'investissement et des marchés au profit d'autres entreprises, à cause d'une certaine forme d'arrogance vis-à-vis de leurs interlocuteurs algériens, qui font peu cas de la susceptibilité et de la fierté locales. Il y va de l'intérêt propre des entreprises françaises. Autre problème: les bureaux d'études, les cabinets d'affaires et d'audit qui s'installent pour une longue durée en Algérie excluent délibérément de toute responsabilité les Algériens, tout en consentant à réserver le rôle de seconds couteaux aux binationaux. De fait, les Algériens qui ne possèdent que leur nationalité d'origine sont exclus dans leur propre pays. Il ne s'agit pas de dénier à ces organismes le droit de choisir leur management, en fonction du critère de la nationalité. Mais le fait qu'en s'attribuant les segments de marchés les plus importants depuis l'extérieur, ils poussent vers les marges les meilleures compétences du pays. On a beaucoup reproché au Premier ministre, Ahmed Ouyahia, d'avoir imposé un certain niveau de participation locale aux entreprises étrangères. Beaucoup de pays l'ont fait avant l'Algérie. En tout cas, l'attitude du Premier ministre ne procède ni de la volonté de décourager l'investissement international ni celle d'instaurer quelque instabilité juridique dans le milieu des affaires. Le Premier ministre ne pouvait pas rester indifférent à la marginalisation des cadres algériens qui ont fait le choix de vivre en Algérie et qui ne sont pas tous obnubilés par le souci d'acquérir une nationalité étrangère. Si Ahmed Ouyahia a dû reprendre la main sur cette question, c'est parce qu'il a perçu un véritable malaise dont nombre d'entreprises et de sociétés étrangères n'ont pas une claire conscience. De tous les pays d'accueil des investissements, l'Algérie est celui dont les ressortissants sont les moins bien représentés dans les organes dirigeants des entités étrangères. Or celles-ci, du fait même qu'elles sont immatriculées au registre du commerce et des sociétés, ont une allégeance juridique à l'égard de l'Algérie. Il est dommage que cette hypothèque n'ait pas été levée par le recours à la loi. Ceci dit, il est clair que plus les entreprises françaises solliciteront les compétences locales aux postes de responsabilité (comme vient de le faire OTA au mois de mai 2009) et plus sereines seront les relations algéro-francaises. Reste le dernier point d'achoppement des relations algéro-francaises: l'adhésion de l'Algérie à l'UPM. Il n'est pas question de reprendre ici tous les termes du débat. L'Algérie, pays souverain et indépendant, doit négocier au mieux de ses intérêts la place qu'elle entend occuper dans l'espace euro-méditerranéen. Personne ne peut exiger d'elle qu'elle joue le rôle de gendarme pour le compte de l'Europe dans l'espace subsaharien. L'Algérie ne peut pas accepter de couvrir l'exploitation des ressources du sol et du sous-sol africains en actionnant ses appareils répressifs contre les enfants du continent qui ont été exclus de la croissance et n'ont plus d'autre exutoire que la migration vers des terres plus hospitalières. L'Algérie n'a pas non plus les moyens de les intégrer. Ce constat objectif ne vaut pas absolution des insuffisances de la politique algérienne des migrations. En particulier, l'Algérie ne peut pas se désintéresser indéfiniment du sort des wilayas du Sud, limitrophes du Mali et du Niger, deux pays frères. Elle ne peut davantage négliger l'indispensable coopération avec les Etats malien et nigérien qui ont besoin de l'Algérie pour leur stabilité. A titre d'exemple, comment expliquer qu'aucun projet de coopération avec le Niger dans le domaine uranifère n'a jamais été envisagé? L'Algérie possède un Commissariat à l'énergie atomique (le Comena) mais la question est posée de savoir s'il sert à quelque chose. Il faut se réjouir cependant des assurances données dans ces colonnes par le ministre chargé des Affaires africaines, A. Messahel (V. L'Expression du 6 juin 2009), quant à la mise en oeuvre d'une véritable politique de coopération avec nos voisins dans les mois qui viennent. De la sorte, l'Algérie échappera au grief de ne pas apporter sa contribution au règlement des douloureuses questions migratoires. De la même façon, notre pays ne peut rejeter le projet UPM, en bloc, s'il ne propose pas une alternative à ce projet et s'il ne décline pas le modus operandi de son «approche globale» des phénomènes migratoires. Quoi qu'il en soit, c'est en vain qu'on chercherait à donner au président de la République mauvaise conscience sur le chapitre de la souveraineté algérienne. Sa démarche consiste à prendre des initiatives pour développer la coopération avec la France, en traitant de tous les dossiers dans un esprit constructif, non en cherchant urbi et orbi à solder les comptes du passé, alors que ce moment n'est pas encore venu, comme l'a rappelé le président de l'APN. Tout le monde sait bien ce qu'a été la colonisation française de peuplement. Mais les responsables algériens savent aussi qu'ils doivent rapidement écrire une nouvelle page de l'Histoire avec l'ancienne puissance coloniale, de sorte que l'Algérie (car il s'agit ici de défendre les seuls intérêts de l'Algérie) puisse avancer rapidement sur la voie du développement, se montrer capable d'une insertion vertueuse dans l'économie mondiale de marché et faire son profit des avancées technologiques, démocratiques et culturelles réalisées par les pays de la Méditerranée parmi lesquels la France occupe une place centrale. En conclusion, il y a une leçon d'histoire qui vaut d'être méditée par les jeunes générations. Si la colonisation a été une nuit pour une majorité d'Algériens, la période ottomane qui la précède ne fut pas l'âge d'or brandi par certains historiens qui vont jusqu'à présenter la Régence d'Alger comme un Etat pourvu de tous les attributs de la souveraineté et dont l'administration était effective sur toute l'Algérie. Si la colonisation française n'a rencontré qu'une opposition labile à ses projets de conquête, c'est bien sans doute qu'il n'existait en 1830, ni Etat algérien ni même nation algérienne. Toutes les nations se sont constituées à travers des processus historiques lourds et longs. L'Etat algérien n'est pas une autogenèse, contrairement à ce qu'a soutenu Réda Malek. L'Etat et la nation algériens se sont affirmés progressivement dans le sillage de la colonisation, 100 ans après la conquête. Ni le premier ni la seconde ne sont encore achevés. En tout cas, il n'y a jamais eu, dans l'histoire de l'Algérie un âge d'or, si cruelle et si funeste fût la colonisation. (*) Professeur d'enseignement supérieur