De plus en plus d'Algériens ne prennent plus goût aux réjouissances de l'Aïd. Les acteurs sont les mêmes et les causes sont multiples. Voilà que le mois de Ramadhan nous quitte déjà pour nous donner rendez-vous l'année prochaine. Un autre «invité», non moins attendu, vient nous rendre visite pendant deux jours. C'est l'Aïd El Fitr, appelé communément l'Aïd El Seghir (Petit Aïd). Cependant, autres temps, autres moeurs. Les gens, de nos jours, ne le célèbrent plus comme le faisaient nos aïeux jadis. L'Aïd était fêté en grande pompe. La semaine qui précède cette fête était un véritable moment de joie et de communion mais aussi de solidarité, de partage et d'entraide. Dans toutes les demeures, les préparatifs se faisaient dans une ambiance chaleureuse et bon enfant. Partout c'était la bonne et délicieuse odeur des gâteaux que préparaient les ménagères avec bonheur et fierté qui vous donnait l'eau à la bouche. Le jour de l'Aïd était, un jour, des plus exceptionnels. Ainsi, les adultes se levaient tôt le matin pour aller à la mosquée accomplir la prière de l'Aïd. Pour cette occasion, ils portaient leurs plus beaux vêtements aux couleurs claires, et se parfumaient aux senteurs de musc, de jasmin et de rose. Après la prière, vient le moment le plus émouvant de la fête, celui des embrassades et des retrouvailles en échangeant les voeux de longue vie, de bonheur et de santé. Le pardon aussi trouvait sa place en cette fête qui «purifiait et rapprochait les coeurs». Durant l'après-midi et la journée du lendemain, parents, amis et voisins se rendaient visite mutuellement. Les rues et les places respiraient la joie et l'allégresse. Les enfants, parés de leurs plus beaux atours et heureux des quelques piécettes que les adultes, fidèles à la tradition, leur ont offert, s'exhibaient fièrement. Partout, on rencontrait des grappes d'enfants qui ne manquaient jamais de vous montrer leurs petites menottes teintées au henné. Le tout dans un ensemble de couleurs chatoyantes et de rires cristallins qui faisaient penser aux gazouillis des oiseaux. Les pauvres, quant à eux, avaient toujours droit aux gâteaux que les plus aisés se faisaient un devoir de leur offrir en cette occasion. Plus que cela, nombreux sont ceux qui prenaient entièrement en charge des enfants issus de familles nécessiteuses. Cette époque, malheureusement, semble révolue. Jugez-en. Durant les années 90, les réjouissances de l'Aïd étaient devenues synonymes de peur et de tristesse. Et pour cause. L'on se souvient de ces attentats terroristes qui avait pour théâtre les fêtes de l'Aïd. Attentat à la bombe dans les cimetières, carnages dans les hameaux, enlèvements de jeunes filles, assassinats des appelés rentrés en permission passer l'Aïd parmi les leurs et embuscades contre les forces de l'ordre. Les Algériens, à cette époque, ont tout vu et tout vécu au point que l'Aïd, pour eux, n'avait plus aucun sens. Exception faite, les tout petits enfants qui ne saisissaient pas encore le sens infernal dans lequel était plongé leur pays. Contre vents et marées, ils continuent à vous réclamer leurs pièces d'argent et leurs ballons avec des risettes et des mimiques qui vous faisaient fondre le coeur. Quant aux familles, elles ont délaissé les visites d'antan pour se cloîtrer chez elles en priant qu'aucun malheur ne survienne. Aujourd'hui, et après, une certaine amélioration de la situation sécuritaire, les Algériens ne semblent pas renouer avec l'ambiance de convivialité d'autrefois. L'Internet et l'avènement des téléphones cellulaires y sont pour beaucoup. Pas seulement les plaies et les cicatrices qu'a laissées la bête immonde dans le coeur et la chair de millions d'hommes et de femmes touchés au plus profond de leur âme. Ainsi, au lieu de se déplacer pour rendre visite aux «aînés», on préfère, de plus en plus, se souhaiter «bon Aïd» au téléphone en envoyant des SMS. L'Internet aussi semble avoir ses fidèles. Pour ces derniers, il est plus pratique et moins coûteux d'envoyer des messages de voeux via le Net. Selon eux, c'est le meilleur moyen de communiquer même avec les parents et les amis qui vivent à l'étranger. Même les villes sont mortes et les rues désertées durant ces deux jours de fête. Il y a moins de circulation, les commerces baissent rideau et les transports accusent un manque flagrant. Et pour boucler la boucle, l'Etat est le grand absent durant l'Aïd et brille par son habitude à ne rien faire pour que les concernés respectent les règles du service public. La violence aussi, vécue au quotidien tout le long du mois de Ramadhan, n'a pas été sans endeuiller des centaines de familles. Et comment donc se réjouir de cette fête quand on a perdu un être cher, ou quand un parent est derrière les barreaux ou cloué dans un lit à l'hôpital? Dans un décor pareil, il est quand même de mise de se souhaiter une bonne fête qui puisse ramener la paix dans les coeurs.