Son antre de la culture et de la lecture a ouvert ses portes il y a à peine un mois et vous donne rendez-vous tous les lundi, mardi et jeudi. Pas beaucoup de monde au Café littéraire «L'île lettrée» de Sid Ali Sakhri, sis rue Ahmed-Zabana, l'après-midi de lundi dernier. A part des idées bien développées et argumentées, il n'y a pas grand chose qu'on ne connaisse déjà: «Quel regard porte le lecteur sur le livre?» Et c'est le propriétaire de la libraire Mille Feuilles qui était chargé de répondre à cette question, aidé en cela par les quelques personnes présentes parmi l'assistance. Bref, après un tour d'horizon de la situation du livre en Algérie, plus précisément de l'édition et son passage des mains du secteur public à celui du privé, le public est invité à donner son avis sur la question. Sakhri ne manque pas une occasion pour lancer un coup de gueule, arguant qu'il faut dire la vérité mais de façon intelligente. Il est le seul maître de cérémonie, le maître à bord...Il cite un nombre d'éditeurs algériens qui font de la qualité à nombre égal, mais regrette que certains écrivains algériens se fassent un nom quand ils sortent de leur pays alors qu'ils sont ignorés chez eux. Déplorant le déni d'importance accordée au livre en Algérie, néanmoins, il prend l'exemple de Barzakh dont la qualité de présentation n'a rien à envier à celle des livres importés. Evoquant son expérience dans le domaine, Sid Ali Sakhri fera remarquer que s'il disposait au moins de 20%des conditions de travail des éditeurs en langue française. Aussi, relève-t-il: «Le métier de diffuseur manque en Algérie. On le confond souvent avec celui de distributeur.» S'agissant du rôle des journalises et le manque de critique littéraire, il dira que la plupart notent seulement la quatrième page de couverture du livre sans faire d'analyse approfondie de l'ensemble. «Le lectorat se crée grâce à la famille, l'école, la télévision, or les pouvoirs publics sont absents», dit-il. M.Sakhri notera que la cherté du livre est relative en Algérie, tout en estimant qu'à l'époque de la Sned, la subvention était un cadeau empoisonné car le monopole de l'entreprise ne poussait pas les gens à se former au métier de l'édition qui, selon lui, nécessite d'être au fait de certaines techniques et esthétique à respecter. «ce n'est pas le cas chez nous. Or le métier d'éditeur est tout une culture.» M.Sakhri évoque le nombre réduit de livres édités chaque année en Algérie, estimant que la majorité du lectorat qui achète des livres, notamment dans sa libraire Mille Feuilles, est à dominante féminine et francophone, amateurs des livres d'histoire et de cuisine. Abordant les livres pour enfants, M. Sakhri fera remarquer d'emblée, qu'ils ne sont pas représentatifs, comparés à ceux importés. «Quand il y a la qualité, le prix ne compte pas», estime- t-il. Et d'ajouter: «L'Etat doit favoriser les conditions professionnelles liées au papier. C'est pourquoi je me suis posé au tout début la question: l' édition est-elle une pratique pour les pays démocratiques seulement?» Présent parmi l'assistance, le chanteur chaâbi Réda Doumaz, relèvera que le livre est exclu de l'école. «Dans les années 1970, les livres, on ne pouvait peut-être pas se les procurer ou les acheter, mais il y avait les polycopies et on apprenait des choses.» La psychologie enfantine a été aussi évoquée tout en relevant son importance dans la confection de livres pour enfants. M.Sakhri se demande si les pages supplémentaires «culturelles» répondent à l'attente du lecteur et regrette également l'absence d'ouvrages pour adolescents en Algérie «Nos éditeurs ne pensent pas à eux.» Qualifiant son espace de «Café littéraire où l'on peut discuter librement et de façon intelligente dans une ambiance de café», M.Sakhri indiquera les objectifs de son lieu précieux quant à le familiariser avec les élèves du lycée Omar-Racim, lequel est juste à côté. «Mon ambition est de ramener au moins une dizaine de jeunes ici où l'on offre une bibliothèque gratuite, un espace d'expo, avec une valeur ajoutée comparée aux autres cafés: les femmes. Celles-ci peuvent venir parler de culture en toute tranquillité ce qui n'est pas le cas dans un café à Bab El Oued ou autre.» Utopique peut-être, M.Sakhri dira croire dur comme fer en cet adage: «Celui qui maîtrise le verbe, maîtrise sa violence.» A cet effet, il informa l'assistance de l'ouverture de son espace, jeudi prochain pour les femmes moudjahidate, et le mardi aux représentants de métiers en passant bien évidemment par celui du livre. Il citera quelques professions dont le métier de pilote, d'architecte et de médecin. Un ancien inspecteur de l'enseignement à la retraite dénoncera le niveau bas de la langue parlée par les jeunes d'aujourd'hui qui ne lisent pas. Des femmes d'un certain âge se sont rappelé, quant à elles, la période où elles apprenaient à lire à l'école. Une corvée qui s'était transformée en passion. «C'est comme cela qu'on a pris goût à la lecture», a fait remarquer une dame. «Je vais aussi réunir des sponsors pour parler avec eux de culture. Cet espace ne peut exister que par vous!», soulignera, fort enthousiaste, M.Sid Ali Sakhri.