Tout indique que les Etats-Unis sont en train de se préparer à une offensive militaire contre l'Irak. Au début du mois, à Vienne, lors d'une troisième réunion consacrée au retour des inspecteurs de l'ONU chargés de contrôler le désarmement, les Irakiens ont envoyé paître le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. «Les Etats-Unis auraient dû réagir extrêmement vigoureusement, mais ils ont été silencieux: c'est le signe qu'ils ne sont pas prêts», analyse Anthony Blinken. «La négociation sur les inspecteurs, ce sera la dernière carte de Saddam: il la sortira lorsqu'il sentira l'attaque imminente, et il essaiera de faire durer les discussions le plus longtemps possible», prévoit Tim McCarthy, un ancien inspecteur de l'ONU en Irak. Certes, le secrétaire à la Défense a rappelé, mardi dernier, ses doutes sur l'efficacité de telles inspections, laissant entendre qu'elles seraient sans effet sur la suite des événements. L'Irak, sous la menace d'une frappe américaine, a annoncé, vendredi 2 août, avoir invité le chef des inspecteurs en désarmement de l'ONU, Hans Blix, à venir discuter à Bagdad d'une reprise éventuelle des inspections, un geste accueilli avec scepticisme par Washington et l'ONU. L'initiative irakienne intervient au lendemain d'une nouvelle déclaration du président Bush réaffirmant, devant le roi Abdallah II de Jordanie, son intention de renverser Saddam Hussein. Ce dernier a d'ailleurs émis des «réserves». «Parce que nous sommes les amis des Etats-Unis, nous devons les empêcher», écrit Claude Allègre, l'ancien ministre français de l'Education nationale, «de commettre ce qui peut se révéler une erreur monumentale». «Les raisons invoquées sont au nombre de deux. Les Irakiens seraient-ils les seuls à fabriquer les horribles armes biologiques? Il y a un an, les Etats-Unis ont alarmé le monde entier sur les fameuses enveloppes contenant de la poudre blanche contaminée par le bacille responsable de la maladie du charbon. Ils sont beaucoup plus discrets sur le sujet depuis qu'il est démontré que ce bacille venait des Etats-Unis. D'où exactement? Personne ne le précise. On voudrait savoir.» (Claude Allègre La guerre d'Irak n'aura pas lieu. L'Express du 01/08/2002). Si l'on est opposé aux armes biologiques, écrit Claude Allègre, ce qui est mon cas, pourquoi ne pas proposer un traité d'interdiction avec contrôles internationaux? L'Irak n'est pas un centre mondial savant en bactériologie: si des Irakiens se livrent à ces productions qui demandent une expertise technique élaborée, c'est qu'ils l'ont apprise quelque part. Où? Si les Etats-Unis attaquent l'Irak - dont le régime ne mérite aucune sympathie - ils vont embraser le monde arabe, et les conséquences de ces troubles sont difficiles à évaluer, que ce soit en Egypte, en Arabie Saoudite, au Pakistan, au Maroc, et même en Indonésie et dans les pays occidentaux ayant en leur sein une forte proportion de musulmans, comme la France ou les Etats-Unis. La Turquie, qui, pourtant n'est guère favorable à l'Irak, risque d'être complètement déstabilisée, sans parler des Républiques musulmanes de l'ex-URSS. Et puis, bien sûr, chacun s'interrogera: après l'Irak, qui? Le Soudan, où règne un fondamentalisme très strict et arriéré? L'Iran, afin de rééquilibrer la situation entre chiites et sunnites? (Claude Allègre La guerre d'Irak n'aura pas lieu. L'Express du 01/08/2002). Est-ce là le fameux droit d'ingérence? Lorsqu'il a été élu président dans les circonstances troubles que l'on connaît, George W.Bush a négligé la politique étrangère pour mieux se démarquer de son prédécesseur, Bill Clinton. Aujourd'hui, il s'en mord les doigts. Bien sûr, il existe un fondamentalisme musulman. Bien sûr, celui-ci est devenu un danger pour beaucoup de pays de la planète. Bien sûr il faut le combattre, mais sûrement pas par les bombes et la guerre. Le fondamentalisme n'est pas majoritaire dans le monde musulman. Il faut donc éviter qu'il ne s'étende. La solution à ce problème est d'abord d'organiser une diplomatie active et intelligente partout dans le monde. Il est étonnant que les Etats-Unis, qui comptent 6 millions de musulmans, soient incapables de comprendre le monde arabe. Une attaque de la Centrale nucléaire iranienne de Bouchehr, écrit Eric Leser, pourrait servir de test à la nouvelle doctrine de l'administration américaine dite de l'action préventive, croyait savoir, mardi 30 juillet, le Washington Post. Un débat s'est engagé aux Etats-Unis et en Israël sur la question de décider s'il faut attendre que la centrale devienne opérationnelle, dans les deux ou trois prochaines années, indique le Post. Il est question de faire pression sur la Russie, maître d'oeuvre du chantier, pour qu'elle arrête délibérément les travaux de construction; mais, à mesure que les travaux progressent, la centrale devient une cible potentielle de la doctrine qui vise à anticiper les menaces contre la sécurité des Etats-Unis. «Certains, au sein de l'administration, approuvent une attaque préventive», a déclaré au Post Anthony Cordesman, expert du Moyen-Orient et spécialiste de la prolifération nucléaire. D'autres estiment que si l'Iran se plie aux exigences internationales, la centrale n'entraînera pas de risques en matière de sécurité. (Eric Leser. Trois options militaires contre l'Irak. Le Monde du 31/07/2002). Nous remarquons au passage, l'axe stratégique Israël - Etats-Unis dans leur volonté d'annihiler toute velléité de domestiquer l'atome s'agissant de nations musulmanes. Est-ce l'Alliance judéo-chrétienne en marche contre l'empire du mal représenté par l'Islam? Huntington, tu es assurément un prophète pour avoir le premier annoncé le clash des civilisations. Gerald Butt, de la Middle Eastern Economic Survey, pense que des pays comme l'Arabie Saoudite seraient menacés de «suicide politique», si ils décidaient de s'aligner sur Washington. Pourtant, que Bush opte pour la frappe chirurgicale ou pour les gros bataillons, il subsiste une question: que se passera-t-il ensuite? Un Irak atomisé sera une spirale infernale. Plus aucune nation de la région ne pourra prétendre à une intégrité territoriale. Nous verrons alors éclore des mini-Etats totalement inféodés aux intérêts des puissantes multinationales. Que deviendront alors les Etats nations devant une mondialisation qui ne connaît pas de citoyens, mais qui cherche indéfiniment des consommateurs?