Des étrangers sans papiers, en France, ont dévoilé devant des députés comment ils furent employés sur un chantier pour réhabiliter des locaux annexes du Palais Bourbon. Cela peut sembler cocasse: des immigrés en situation irrégulière ont participé activement à la rénovation d'un édifice de l'Assemblée nationale française, là où se décide leur avenir sur le territoire français. Là où se font et se défont les lois qui souvent les contraignent au départ, à l'expulsion ou à la clandestinité. «J'étais sur le marteau piqueur du matin jusqu'au soir. Quand El Gueddafi est venu, ils ont renforcé les contrôles de sécurité, on n'a pas pu travailler pendant trois jours», a révélé Sako Bilali. L'histoire a cependant de ces secrets et de ces tours que ne commandent ni le législateur et encore moins ceux qui ont en charge les affaires de la République. C'est en plein débat sur l'identité française, sur le port de la burqa, de l'immigration...que la France officielle découvre que des travailleurs étrangers en situation irrégulière participent au développement et à l'essor de son économie. Et dans la foulée, le ministre de l'Immigration affiche fièrement un bien triste bilan, un record, l'expulsion de 29.000 étrangers, dont 1552 Algériens, en 2009. Une feuille de route, une mission, que lui a confiée son président de la République Nicolas Sarkozy. 101 rue de l'Université, 7e arrondissement de Paris, «Ensemble Chaban-Delmas», une annexe du Palais Bourbon: c'est le lieu de travail fréquenté pendant plus de deux années par des sans-papiers. Recrutés dans les règles de l'art par des boîtes d'intérim pour le compte de l'Adec, une entreprise sous-traitante pour le géant français du bâtiment Bouygues, ils ont été exploités à raison de 39 heures de travail par jour pour 350 malheureux euros par mois. Ils seraient plus de deux cents, selon certaines informations. Les suceurs de sang ont fait leur beurre. Seulement, cette fois-ci avec la bénédiction de la République. Mercredi 13 janvier, ils étaient des dizaines à venir témoigner devant les élus de l'Assemblée française arborant sur leurs poitrines les badges magnétiques délivrés par l'Assemblée nationale où figuraient leurs noms, celui de Bouygues, et de leur employeur: la société Adec. Un peu comme arboraient les médailles de guerre leurs grands-parents qui ont contribué à la libération de la France et qui n'ont eu au titre de la reconnaissance que le droit à une pension dérisoire. Une discrimination notoire, une injustice caractérisée, par rapport à leurs frères d'armes français, qu'aucun président de la République n'a eu l'élégance de réparer. Il serait bien curieux de savoir si le gouvernement de Nicolas Sarkozy est prêt à rectifier cette anomalie qui a éclaboussé une aussi prestigieuse institution de la république qu'est le Palais Bourbon. «C'est un beau souvenir d'avoir travaillé à l'Assemblée nationale» s'est exclamé Ousmane, un Malien de 35 ans qui garde jalousement, comme un trophée, le badge que lui ont délivré les services chargés de la sécurité de l'Assemblée nationale. A sa manière il aura épinglé les institutions de la République. Il est allé témoigner avec deux de ses collègues employés par la même agence d'intérim, rapporte sur son site le quotidien Le Monde. Témoigner de quoi? De leurs conditions de forçats du monde dit moderne où l'on fait fi du respect de la dignité humaine. Celle à travers laquelle l'humain est perçu comme une force de travail que l'on essore jusqu'à la dernière goutte de sang, pour le jeter par la suite sans ménagement hors de ses frontières. «Nous demandons à ce que les patrons et le gouvernement s'engagent à nous régulariser. On cotise et on a droit à rien. Nous voulons retrouver notre dignité», a souhaité de son côté Doucouré. Cette affaire, encore une de plus, tombe à point et dans une conjoncture plutôt favorable malgré tout le tintamarre qui est fait autour du débat sur l'identité nationale et qui a débordé, sans surprise, sur l'éternelle question de l'immigration. En effet, selon un sondage réalisé par l'Ifop au profit du quotidien L'Humanité, 64% des Français se disent favorables à une régularisation des travailleurs étrangers sans papiers. Raison de plus, lorsqu'ils ont été employés au profit de l'Assemblée nationale. La République leur doit bien ça. La balle est dans le camp de Sarkozy.