Toutefois, beaucoup d'observateurs demeurent sceptiques et restent peu convaincus que l'ISI ait réellement opéré un virage. La capture au Pakistan du chef militaire des taliban afghans représente un important revirement d'Islamabad dans sa politique vis-à-vis des taliban, selon des analystes. L'armée pakistanaise a confirmé hier l'arrestation du mollah Abdul Ghani Baradar, bras droit de leur dirigeant de l'ombre, le mollah Omar. «C'est un avertissement clair aux chefs taliban afghans au Pakistan: les choses ont changé. Il faut faire un choix, soit vous continuez à vous battre et cela sera sans notre aide, soit vous coopérez», explique Arturo Munoz, un ancien agent de la CIA, après l'annonce mardi de l'arrestation d'Abdul Ghani Baradar par la presse américaine. Le porte-parole de la Maison-Blanche, Robert Gibbs, n'a pas confirmé cette nouvelle, mais il a salué la coopération accrue avec l'ISI, les services secrets pakistanais qui ont favorisé l'essor des taliban dans les années 1990. Mais tout le monde n'est pas encore convaincu que l'ISI ait réellement opéré un virage. Paul Pillar, un ancien analyste de la CIA, a dit que l'arrestation du mollah Baradar correspondait au mode de fonctionnement des services de renseignement pakistanais, qui consiste à ne céder que progressivement à la pression américaine. «Cela veut-il dire que l'ISI est entièrement acquise (aux Américains)? J'en doute», a affirmé Bruce Riedel, un ex-agent de la CIA, qui a analysé l'an dernier pour la Maison Blanche la stratégie afghane. Mais ce dernier a toutefois concédé qu'il s'agissait d'un «pas significatif dans la bonne direction». Des médias américains ont rapporté qu'il s'agissait d'une opération conjointe des services pakistanais et la CIA, mais les Pakistanais n'ont pas confirmé cette information. Personne ne conteste le fait que cette capture constitue un coup formidable pour Washington, qui a renforcé sa pression sur Islamabad au cours de l'année passée, et envoyé des renforts en Afghanistan. Le général James Jones, le conseiller à la sécurité nationale, était la semaine dernière en visite au Pakistan, vraisemblablement au moment où l'arrestation a eu lieu. Abdul Ghani Baradar, numéro deux des talibans afghans derrière le mollah Omar, était au sommet de la chaîne de commandement militaire, et avait autorité sur les finances. Ancien responsable de la sécurité, il a atteint le rang de numéro deux après l'invasion de l'Afghanistan par les forces américaines et alliées. Baradar «savait gouverner et diriger à la manière traditionnelle des Pachtounes, s'appuyant sur les choura (assemblées), écoutant ses adjoints», a dit M.Munoz. «C'était un chef très respecté, très aimé, et sa perte, je pense, sera très démoralisante pour le mouvement taliban. Ceci dit, les taliban sont des gens résistants, ils sont en guerre depuis un moment», a-t-il ajouté. Selon M.Riedel, le chef taliban est potentiellement «une mine d'informations pour les services secrets, pour ce qu'il pourrait révéler, mais aussi s'il avait un ordinateur portable avec lui, un BlackBerry ou autre». «Il doit savoir où se trouvent la plupart des planques», a-t-il ajouté. En outre, pour M.Riedel, cette arrestation est plus généralement une victoire pour les Américains en Afghanistan, qui se sont heurtés à la réticence des Pakistanais à aller débusquer les taliban dans leurs sanctuaires. Selon lui, les chefs militaires pakistanais ont conclu après avoir commencé à combattre les taliban au Pakistan qu'ils étaient inextricablement liés aux taliban d'Afghanistan et qu'il était impossible d'«agir contre les uns et pas les autres». Le Pakistan a montré d'autres signes de changement d'attitude vis-à-vis des taliban, notamment en acceptant récemment le début d'un règlement politique de la question. «Je présume que le mollah Omar et le mollah Baradar étaient opposés à cela», a ajouté M.Riedel.