L'insécurité dans les villes constitue le grand problème auquel seront soumis les services de sécurité. La décennie qui vient de s'écouler (1992-2002) a constitué un contexte favorable, un antécédent grave, pour l'émergence de la criminalité organisée en Algérie. Plus de 40.000 crimes et délits ont été recensés en six mois (janvier à juin 2002). Tout y est: crimes contre personnes, contre les biens, contre les bonnes moeurs, atteinte à l'économie nationale, viols, agressions, fausse monnaie, destruction de biens, coups et blessures, attentats à la pudeur, menace et association de malfaiteurs. Toute la panoplie des nouvelles formes de criminalité est là, et il faut désormais faire avec. Ces chiffres, collectés auprès de divers services de sécurité et qui concernent les corps de gendarmerie et de police, parlent d'eux-mêmes. Les statistiques placent Alger, Tlemcen, Boumerdès, Tipasa, Blida, Chlef et Aïn-Defla en tête des villes «criminogènes», c'est-à-dire des plus exposées au crime et où celui-ci se développe le plus. Les crimes et délits les plus répandus pour ce premier semestre 2002 restent les atteintes physiques contre les personnes (15% des délits), le vol (12%), l'association de malfaiteurs (près de 500 cas). Le viol a été commis sur plus de 600 femmes et la fausse monnaie a permis d'arrêter 780 personnes. Le crime organisé et le grand banditisme deviennent un véritable enjeu. La fausse monnaie a attiré de nouveaux groupes organisés, performants, jeunes et efficaces. Un investissement de 30 millions de centimes permet de constituer l'équipe gagnante: un bon informaticien, un micro-ordinateur, une imprimante, un scanner et le tour est joué. Conséquence: la fausse monnaie tourne d'Est en Ouest, et les meilleurs endroits où elle peut, à loisir, être écoulée sont les Hauts-Plateaux où la vocation agropastorale des villes, la présence d'un commerce de bétail permet d'acheter et/ou de changer les billets sans qu'on prenne garde aux défauts des copies ou à la qualité du papier. L'usage, la vente et la consommation de stupéfiants sont quasi ébouriffants. En deux mois, la gendarmerie a saisi l'équivalent de 23 793 comprimés (psychotropes) et 1111,508 kg de kif traité. Au-delà des chiffres, c'est la disposition de la nouvelle génération qui fait peur. Les émeutes, la violence et la destruction constituent ses nouvelles armes pour faire fléchir les autorités, pour s'imposer, se faire entendre, ou pour s'enrichir, sans passer par les canaux («non porteurs») du marché du travail. Les zones-crises d'hier restent, à ce jour, porteuses de risques. Baraki, Larbaâ, El-Khemis, Miliana, Chlef, les Eucalyptus, El-Harrach, Hammadi, Meftah, Bougara, etc. sont restées autant de zones d'exclusion et, de fait, autant de zones-crise, des zones à haut risque. Aucun effort de développement sérieux et durable n'y a été consenti. Si on prend en compte qu'elles ont constitué l'essentiel des pourvoyeurs de fonds des GIA, l'on découvre que l'indigence sociale, ajoutée à l'indigence culturelle (les deux aspects s'interpénètrent), a été un motif réel de violences. La majorité des groupes armés, notamment après 1998, a adopté les méthodes du grand banditisme. Le vol par effraction, le racket avec armes, le recel, le faux barrage, l'extorsion de fonds sous la menace, etc. sont les atouts-maîtres. Aujourd'hui, des bandes de jeunes constituées perpètrent vols, braquages et attentats spectaculaires sans être pour autant affiliés à des organisations armées. La récente tentative de hold-up de la banque d'Oran a été à ce point édifiante pour mettre les services de sécurité sur le qui-vive. Les réseaux de trafiquants de drogue qui activent à la lisière des frontières marocaines, maliennes et nigériennes mobilisent armes, véhicules tout-terrains, éclaireurs et hommes de main pour réussir à faire passer leurs marchandises vers le Nord. Depuis une année, ils sont carrément passés à une autre étape : ils utilisent des chalutiers et des bateaux de plaisance pour arriver à remettre la «marchandise» , au large des eaux algériennes, aux «équipiers» français, espagnols et italiens. Il est peut-être étonnant de voir une ville comme Tlemcen occuper la tête du hit-parade des crimes et délits. Mais le fait est que, plus que le chef-lieu, ce sont les villes périphériques qui ont charrié une violence traduite en termes de vol, viol, brigandage, recel, drogue et constitution d'association de malfaiteurs. Les wilayas du Centre - Alger, Blida, Tipasa et Boumerdès - restent autant de zones à surveiller comme le lait sur le feu. Toute la panoplie du crime et des délits s'y développe à une vitesse vertigineuse. L'exode rural dû à l'insécurité a porté les populations de ces wilayas du simple au double. La capitale, saturée, offre le «spectacle», le rêve, la vitrine trompeuse des feux de la ville, mais n'offre pas le travail: le marché de l'emploi reste quasi fermé, et les rares postes à pourvoir passent par les «réseaux informels». A la périphérie des villes, le chômage, la prostitution, l'indigence, la drogue et la mal vie s'affichent ostensiblement, exacerbant la violence et la dirigeant de la périphérie au Centre. Dans un pays où la politique reste l'unique distraction des adultes, la jeune génération du new age a complètement tourné le dos aux valeurs anciennes. Cette génération grandit vite, vit à 1000 à l'heure, s'agite et veut être. La violence constitue un résultat à tout ce patchwork social.