Le film documentaire, La Patrie au coeur, le théâtre de Kateb Yacine, de Djillali Khellas a été projeté avant-hier, au niveau de la salle Zinet à Riad El Feth... Nous avons, bien souvent, cette fâcheuse habitude de résumer toute l'oeuvre de Kateb Yacine par rapport à Nedjma. Or Kateb, c'est aussi Mohamed prends ta valise, L'homme aux sandales de caoutchouc, Palestine trahie, Saout nissa (Voix de femmes), ou encore Les Ancêtres redoublent de férocité. Cet enfant des Keblouti est non seulement un monument de la littérature algérienne et maghrébine, mais aussi une figure de proue du 4e art en Algérie. C'est justement de ce dramaturge insurgé, qu'il a été question dans le film documentaire de Djillali Khellas, La Patrie au coeur, le théâtre de Kateb Yacine. Aidé par Nazim Souissi et Belkacem Bellil, réalisateurs exécutifs, ce romancier et chroniqueur va nous donner, tout au long de 77 minutes, un aperçu de ce qu'a été le théâtre katébien. Pour ce faire, Djillali Khellas va réaliser une série d'entretiens avec des spécialistes du 4e art, des universitaires et des comédiens qui ont côtoyé le père de Nedjma. «Personnellement, j'ai rencontré Kateb Yacine à l'âge de 23 ans. C'est un personnage étrange, il faut dire qu'on n'a jamais vu un personnage pareil dans la littérature algérienne», fera remarquer M.Khellas, quelques minutes avant le début de la projection. Un homme généreux et exceptionnel, un romancier insolent et d'un immense talent, Kateb Yacine fut aussi et surtout un dramaturge d'une audace jamais égalée, un intellectuel engagé et révolutionnaire. A travers son théâtre contestataire, Kateb a su dire, mieux que quiconque, la révolte des peuples opprimés. Il n'a jamais hésité à mettre son talent à la disposition d'une cause, celle de son peuple en premier lieu. «C'est l'un des premiers écrivains qui s'est attaqué au colonialisme», dira Ahmed Cheniki, écrivain et critique de théâtre. Les événements de Mai 1945 furent, dans ce sens, déterminants pour cet écrivain hors pair. D'autres spécialistes sollicités évoqueront sa rencontre avec Jean-Marie Serreau qui adaptera Le Cadavre encerclé en 1958. Plus qu'un art, le théâtre fut pour Kateb Yacine une arme qu'il utilisait, «sans modération», pour crier les injustices dont souffraient les gens. Son seul souci, était celui de faire parvenir son message et toucher le plus grand nombre de personnes par n'importe quel moyen. Il n'hésitera donc aucunement à écrire ses pièces en arabe dialectale ou en arabe algérien. «Je suis contre l'idée d'arriver en Algérie par l'arabe classique, parce que ce n'est pas une langue populaire, je ne peux m'adresser au peuple tout entier même s'il n'est pas lettré, je veux avoir accès au grand public, pas seulement les jeunes, et le grand public comprend les analphabètes», affirmait-il. Le Cadavre encerclé, Les Ancêtres redoublent de férocité et La Poudre d'intelligence regroupées dans Le Cercle des représailles, Kateb, les a écrits en langue française. Son «insolence» et son irrévérence seront les raisons pour lesquelles, il sera «exilé» avec sa troupe, sous le règne de Boumediene, à Ténira, un village près de Sidi Bel Abbès. Cela ne va pas décourager l'intellectuel engagé qu'il était. Avec très peu de moyens, il réussira à monter de nombreuses pièces de théâtre exprimant sa révolte et sa contestation. «Notre théâtre n'avait pas besoin d'argent, à peine si on avait où placer quelques cintres pour accrocher nos costumes. Ce qui était indispensable, c'était l'intelligence et l'amour», témoignera Fadhila Assousse, une comédienne qui faisait partie de la troupe de Kateb. Et à Hacène Assousse, un autre comédien de la troupe de renchérir: «A l'époque, il n'y avait pas beaucoup de salles en Algérie, mais cela ne constituait pas un obstacle, le théâtre de Kateb n'était pas destiné aux espaces clos, on jouait également en plein air.» Cette expérience originale que fut celle de la troupe katébienne est un exemple duquel de nombreux dramaturges pourraient s'inspirer.