C'est dans ces situations extrêmes que se révèle la nature profonde des êtres et des sociétés. La mise à nu impitoyable opérée par les attentats du 11 septembre dévoile un pays presque inconnu. La première réaction du président américain a été un appel à la vengeance. La seconde, de battre le rappel de tous les Américains, quelle que soit leur chapelle, à se ranger derrière lui. Mais loin des cris de haine et des calculs politiques, le monde entier a frissonné au cri de bête blessée d'une femme qui regardait s'écrouler la première des deux tours jumelles: «Oh ! my God !» Retransmis en direct par une caméra de télévision, ce cri d'une Amérique triomphante, soudain vulnérable, en aura mis plus d'un mal à l'aise. Pourtant, ce jeune homme, qui a appelé sa mère depuis l'un des avions détournés, lancera, sûr de mourir, juste un message d'amour: «Je t'aime, maman.» Devant la mort, devant le terrorisme, il se sera réfugié dans l'absolu d'un amour inconditionnel, celui de sa mère. L'épouse d'un haut fonctionnaire de l'administration appellera son mari, pour un bref adieu. Pourtant, elle a assisté à l'assassinat d'une hôtesse, à l'arme blanche. Dans la plus pure tradition des GIA algériens: «éIls ont tué l'hôtesse et nous ont refoulés avec les pilotes à l'arrière de l'avion. Nous allons mourir.» Hommage involontaire à la famille, l'Alpha et l'Oméga des valeurs américaines. «Quand tout est perdu, il reste la famille», semblait dire cet autre jeune homme, dont la conversation avec son père, depuis les toilettes de l'avion, a été interrompue par la collision: «Ils sont en train de tuer tout le monde. Je ne te reverrai plus, papa...» Un homme court à perdre haleine, portant en bandoulière son bébé de quelques mois. Avant de tomber, il crie aux fuyards: «Sauvez mon enfant.» Se voyant mourir, il tente de préserver l'avenir. L'espoir. Mais l'Amérique n'est pas tout amour filial et espoir. Malgré le geste extraordinaire d'un Américain qui a déposé une gerbe de fleurs à l'entrée de l'Institut islamique de Laramy, dans le Wyoming, avec ces quelques mots: «Aucun Américain ne devrait être montré du doigt...», malgré les quelques églises qui offrent, 24 sur 24, un havre de paix aux Arabes et musulmans de Seattle, les réactions de haine et de racisme, nourries autant par la douleur que par une longue tradition de ségrégation raciale, resurgissent avec violence. Au Texas, des citoyens ont sorti leurs armes et assiégé l'Institut islamique de Houston, visant les fenêtres. En Pennsylvanie, la grande mosquée de Pittsburgh a fait l'objet d'un attentat à la bombe. Celle de Denton, Texas, a été attaquée au cocktail Molotov. A Lynwood, Etat de Washington, la mosquée a été maculée de peinture noire, comme au bon vieux temps des expéditions du Ku Klux Klan. A Bridaeview, dans l'Illinois, la police a dispersé 300 personnes qui tentaient d'envahir la mosquée locale. L'appel du président américain demandant à la population de « respecter la personne et les biens des citoyens d'origine arabe ou musulmane », ne semble pas avoir trouvé d'échos, y compris dans les rangs de la police : le délit de faciès est de rigueur dans les aéroports, ainsi que les défauts d'accent. Désormais, les Américains développent une sorte de solidarité nationaliste autour des ethnies wasp et latino-américaines. Les achats massifs de drapeaux américains, 600.000 en deux jours) annoncent des lendemains de violences racistes dignes des années macCarthistes.