Au risque de voir son projet de loi rejeté par le Conseil constitutionnel et condamné par la Cour européenne, le chef de l'Etat français a tranché pour son interdiction générale. Le texte qui doit abolir le port du voile intégral en France sera présenté le mois prochain en Conseil des ministres. Si François Mitterrand aura marqué l'histoire en abolissant la peine de mort, le quinquennat de Nicolas Sarkozy risque quant à lui de se terminer en queue de poisson. Le président de la République française a finalement décidé, non pas en son âme et conscience mais sous la pression de certains membres très influents de sa majorité, en particulier Jean-François Copé, le patron des députés UMP, mais aussi très probablement par calcul électoral en vue de la prochaine présidentielle qui aura lieu dans tout juste deux ans, de faire les yeux doux aux électeurs d'extrême droite. Nicolas Sarkozy prend cependant un gros risque: il y a de très fortes probabilités pour que son projet de loi soit rejeté par le Conseil constitutionnel. Après avoir déclaré quatre ans avant son élection, au mois de juin 2003: «Si quelqu'un veut aller faire ses courses avec son voile, au nom de quoi devrait-on l'en empêcher?» le chef de l'Etat français a fait un virage à 180 degrés sur cette question. Le port de la burqa doit être interdit non pas seulement dans les services publics mais aussi sur la voie publique et à travers l'Hexagone, a-t-il finalement décidé. «J'ai beaucoup réfléchi. Il y a du pour et du contre. Il y a des arguments juridiques qui ne sont pas infondés. Mais ne rien faire serait un manque de courage politique, ce serait reculer! La République française a créé de grandes lois en brandissant de grands principes.» Nicolas Sarkozy tente un coup de poker qui pourrait lui être fatal sur le plan politique. Le Conseil d'Etat, qui avait été saisi sur ce dossier le 29 janvier 2010 par le Premier ministre, avait émis un avis défavorable deux mois plus tard, à la fin du mois de mars dernier. «Aucun fondement n'est apparu juridiquement incontestable au Conseil d'Etat pour procéder à une telle prohibition», ont expliqué les magistrats de la plus haute juridiction administrative française. Un homme averti en vaut deux, dirait un vieil adage. Les risques politiques sont énormes en cas de revers juridique. Il y a bien entendu, une présidentielle à la clé en 2012. Nicolas Sarkozy joue son va-tout, appuyé par son Premier ministre. «L'enjeu en vaut la chandelle», souffle François Fillon. Les dés sont jetés. Et quand le vin est tiré, il faut le boire. C'est une tradition bien hexagonale. Sauf que la majorité présidentielle est susceptible de se réveiller avec une forte gueule de bois. Les risques sont certains et établis si l'on regarde de plus près les raisons qui ont poussé les tenants de l'interdiction du port du voile intégral à médiatiser cette question en plein débat sur l'identité française. Le sujet concerne à peine 2000 femmes, selon les chiffres officiels du ministère français de l'Intérieur qui en avait recensé à peine 367 au mois de juillet 2009. Pas de quoi fouetter un chat tellement le phénomène semble minoritaire et ne présente aucune atteinte à l'ordre public. Les gangsters doivent être certainement plus nombreux et plus dangereux. Il est clairement acquis que faire la chasse à une femme en burqa ne représente pas de péril. «Ça peut comporter des risques. Mais ne rien faire serait pire que tout», a pourtant jugé Nicolas Sarkozy. On n'est pas à une contradiction ou à un paradoxe près dans le traitement de ce dossier qui prend une tournure d'affaire d'Etat. La loi préconisée par le gouvernement consiste à «faire respecter le principe de laïcité», a souligné jeudi, Nadine Morano, qui s'exprimait sur les ondes de France Info alors que juste avant, la secrétaire d'Etat à la Famille déclarait que la burqa qui est portée par moins de 2000 femmes «n'a rien à voir avec une pratique religieuse (...), avec une préconisation de l'Islam». Dire une chose et son contraire ne semble pas être la préoccupation première du chef de l'Etat français et de certains de ses ministres. Lorsque Nadine Morano justifie l'interdiction du voile intégral par souci de protection de «la dignité de la femme» elle n'est guère plus convaincante. La plupart des femmes qui portent la burqa, qui ont témoigné, disent qu'elles l'ont fait sous aucune contrainte. La secrétaire d'Etat qui a affirmé par ailleurs que la future loi s'appliquerait aux étrangères désireuses de visiter la France, expose de manière sérieuse son pays à des réactions très hostiles de la part des Etats concernés, essentiellement musulmans. La bataille est cependant loin d'être gagnée. Que fera le Conseil constitutionnel s'il est saisi? «S'il applique sa jurisprudence traditionnelle, le Conseil constitutionnel constatera que l'interdiction, parce que générale, est disproportionnée par rapport à l'objectif recherché, n'a pas de fondement juridique et porte atteinte aux principes de la Déclaration des droits de l'homme», a précisé le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Le coup de grâce pour Nicolas Sarkozy.