Cinq films pour annoncer cinq possibilités de penser le monde et de l´aborder sous l´oeil de la caméra. Des sujets sensibles, délicats et touchants, abordés avec un matériel peu encombrant, voila une belle gageure partagée par ces cinq jeunes réalisateurs algériens dont les courts métrages respectifs ont été présentés mercredi dernier au Centre culturel français. Réalisé dans le cadre de l'Ecole de cinéma française La Fémis, le deuxième court métrage de Aflah Bekkaye, Passage (11min.17) son premier s'intitule Un pays qui n'aime pas ses enfants, met l'accent sur l'action bénévole d'une association parisienne, appelé Pas sage envers des malades mentaux de l'hôpital de Saint-Anne de Paris. Au début, le réalisateur avait pour cible le président de cette association, mais après avoir rencontré ces individus, placés dans le cadre d'un atelier d'écriture, Aflah, pris de sympathie pour ces gens «pas sages», décide de les filmer. Il sera son propre caméraman pour une meilleure approche intime avec «ces personnes» appelées «cas». «Je suis parti à leur rencontre avec des a priori. J'ai rencontré des gens qui m'ont ouvert les bras, très accueillants. Le film porte sur le comportement qu'on adopte souvent envers ces malades et qu'on traite différemment, alors que ce sont des gens normaux comme nous», fera remarquer le réalisateur lors du débat. Ce dernier, originaire de Ghardaïa porte en lui et ce, comme tous les Algériens, les stigmates et retombées de la tragédie nationale. Bien qu'il ne l'ai pas vraiment vécue de près, étant loin de tout ça, notre jeune réalisateur souhaite faire un film sur l'origine du terrorisme, que ce soit sur un plan local ou international. Second documentaire projeté et réalisé aussi dans le cadre de la Fémis est Le temps d'une danse d'Amine Hattou (8 min. 55). Premier film de ce jeune homme, ce documentaire dévoile la sensualité du tango, cette danse transposée de Buenos Aires à Paris et le rapport qu'entretiennent les hommes et femmes face à leur corps, l'instant d'une danse. Tourné à peine en deux jours, le film d'Amine Hattou souligne le rapport homme/femme en France qui peut être différent selon les tempéraments. C'est pourquoi le tango permet le rapprochement et donne à voir une société qui, parfois, a du mal à communiquer. Des êtres qui peuvent s'apparenter à des marginaux, noyés dans leur cocon, l'espace d'une danse au milieu de la scène où souvent on se sent complètement transporté ailleurs, pareil à ces malades mentaux du court métrage d'Amine Hattou dont certains, ont avoué leur désir d'amour d'aller vers l'autre grâce à l' atelier.Dans un registre hybride, mêlant l'abstrait à une narration éclatée, est Créneaux, le court métrage de Nacim Kheddouci. Véritable exercice de style sur le langage cinématographique, ce film arpente une architecture «incertaine» pour tenter de dire l'homme dans ses doutes les plus extrêmes, et ces tourments les plus complexes. Le film parcourt les chemins sinueux d'Alger et suit les dédales intimes, psychologiques et intellectuels de cet individu au demeurant, assez bourgeois, à la recherche de travail, mais en butte souvent, à l'oisiveté et l'envie de sortir de lui-même pour connaître une certaine «élévation» et rompre ainsi avec la monotonie ambiante et surtout la médiocrité qui plombe un peu notre univers. L'être dans ce film est bourré de contractions et de douleur, d'abord vis-à-vis de lui et ensuite, envers le monde qui l'entoure. La tentative cinématographique est toutefois un peu déréalisée par le trop-plein de velléités qui se réduit en finale par cette belle accroche de la caméra face au miroir, Un moment sublime de mise à nu sans doute du réalisateur qui se confond souvent avec le narrateur et la voix off du film. Une façon de se moquer de Sigmund Freud? Sans doute. Mais là, l'introspection du sujet n'en est que plus vraie... Lors du débat, Nacim Kheddouci avouera avoir voulu faire un film sur «rien», autrement dit sur pas grand-chose. Ce «néant» sans doute qui nous consume davantage et nous pousse souvent à plonger au fond de nous jusqu'à sombrer dans la folie. Nacim Kheddouci avouera également avoir eu des envies de meurtre à la fin du tournage. Il est évident que la déposséssion d'une partie de nous ne se fait jamais sans heurts, ni douleur. Mr Aziz est le nom du film documentaire de Madjid Kellou (13 min.) réalisé dans le cadre de ses études dans une école de cinéma au Maroc. Madjid Kellou était le seul absent lors de cette soirée. Dans ce film lumineux et simple à la fois, Madjid Kellou fait le portrait de ce vieux berger qui vend aussi de l'eau de javel en échange de pain rassis. Mr Aziz a une autre activité: suivre ses moutons dans ce vaste village où le temps semble suspendu. Un espace campagnard vierge loin du vacarme de la capitale et ses belles maisons qui font la fierté du tourisme marocain. Quoi que ces dernières sont visibles ça et là, mais d'une façon naturelle, authentique et non pas bradées pour des touristes en mal de sensation. Un film sans grande importance, mais tout de même assez touchant. Dernier film projeté lors de cette soirée placée sous le signe du court métrage est El Djouaâ (La faim) de Djamil Beloucif (25 min.). Un film qui traite du sujet des passeurs et des harraga, à travers la rencontre inattendue et improbable entre deux clandestins, un Algérien et un étranger, à mi-chemin entre la frontière suisse et française. La séquence qui ouvre le film fait penser au Projet Blair Witch. Tourné en vidéo, le film dévoile des paysages d'une rare beauté avec des plans panoramiques à vous couper le souffle. De la poésie dans l'air. Ce court métrage a la force d'un long métrage à l'image d'un Inlad de Tarik Teguia. El Djouaâ est l'un des meilleurs courts métrages que nous ayons vus jusqu'à présent. Enseignant en architecture en Suisse, Djamil Beloucif compte lancer incessamment un atelier cinéma à Alger. Ses élèves auront de la chance de l'avoir comme prof...de cinéma cette fois.