Le président de la République, Nicolas Sarkozy, vient d'annoncer ce 30 juillet qu'il va «faire réévaluer les motifs pouvant donner lieu à la déchéance de la nationalité française». Nicolas Sarkozy a indiqué, à cet égard que la «nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un policier, d'un gendarme ou toute personne dépositaire de l'autorité publique». Notre propos n'est pas de porter une appréciation sur le bilan de la politique de sécurité du président de la République française, l'impact négatif supposé ou réel de la suppression de 11.000 postes de policiers et de gendarmes depuis 2007, ainsi que de celle de proximité (dès 2002) que le président français continue de considérer comme non susceptible d'apporter des réponses appropriées à la montée du grand banditisme et de la criminalité organisée, il est de se demander si le législateur peut étendre les motifs de déchéance de la nationalité française, au regard des principes de droit universellement admis, et notamment, les principes constitutionnels français relatifs aux droits de la personne. La nationalité est un lien qui unit une personne à un Etat. Chaque Etat est libre de déterminer quels sont ses nationaux. Cette liberté trouve ses limites dans les garde -fous instaurés par le législateur (qui visent à stabiliser et sécuriser l'allégeance des individus à cet Etat) et dans les traités internationaux, lesquels en France comme en Algérie, ont une autorité supérieure aux lois internes. En France, depuis la loi du 16 mars 1998, l'attribution de la nationalité française d'origine qui combinait jusqu'alors la filiation et le lieu de naissance, est venue renforcer le critère du droit du sol; ceci a permis l'acquisition de la nationalité française par des étrangers nés en France de parents étrangers nés à l'étranger (immigrés dits de la deuxième génération). En 2010, des centaines de milliers de Français, dont les parents sont nés en Algérie, entrent dans cette catégorie. Ceci dit, la loi de 1998 pose deux règles: acquisition automatique à la majorité avec faculté de la décliner et acquisition par déclaration pendant la minorité sous certaines conditions. Les règles régissant la déchéance de la nationalité française Le Code civil français (articles 25 et 25-1) institue des mesures d'élimination des Français récents pour indignité. Ces textes ne s'appliquent toutefois qu'aux personnes ayant acquis la nationalité française après la naissance. En réalité, cette procédure est sérieusement encadrée. La déchéance de la nationalité française ne doit pas avoir pour effet de faire de l'intéressé un apatride. Il faut donc que celui-ci ait une autre nationalité, au moment de sa déchéance ou qu'il soit susceptible d'en acquérir. Ici, une mise au point s'impose, en ce qui concerne les Français susceptibles d'être déchus et dont les parents sont d'origine algérienne. Il faut savoir qu'au regard de la loi algérienne, ils sont toujours considérés comme Algériens, puisque le législateur a institué depuis l'indépendance, le système de l'allégeance perpétuelle (critiquable à bien des égards) qui se traduit par le fait que tous les cas de perte de la nationalité algérienne sont conditionnés par un décret autorisant la personne à renoncer à la nationalité algérienne (aucune déclaration de volonté unilatérale n'y suffit). Pour revenir à la déchéance de la nationalité française, les motifs sont les suivants: condamnation pour acte qualifié de crime ou de délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la France, condamnation pour acte qualifié de crime ou délit pour atteinte à l'administration publique commis par des personnes ayant exercé une fonction publique, soustraction aux obligations du Service national, condamnation en France ou à l'étranger pour un acte qualifié de crime par la loi française et pour laquelle la personne a été condamnée à une peine d'au moins cinq ans. La déchéance est prononcée par décret; elle n'a que des effets individuels, en ce sens qu'elle n'a pas vocation à s'étendre au conjoint et aux ayants droit. Pour autant, il existe des recours contre la décision de l'administration. L'intéressé dispose d'un délai de 30 jours, à dater de la notification de la décision du gouvernement de le déchoir pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations(présentement le ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire) des observations en défense. Passé ce délai, le gouvernement pourra prendre, après avis conforme du Conseil d'Etat, un décret de déchéance de la nationalité qui sera publié au JO et qui pourra faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat, dans un délai de deux mois. Portée des déclarations du président de la République On la déclinera en trois points. 1. Le président français n'a pas forgé ex nihilo le concept de déchéance de la nationalité française. La nouveauté résidera dans l'allongement de la liste des motifs de déchéance (plus nombreux) et probablement, que la condition d'ancienneté liée à la déchéance, sera-t-elle supprimée, ce qui ne manquera pas de faire grossir le lot des déchus potentiels. 2. L'acquisition automatique de la nationalité française devra également être revue, ainsi que l'acquisition par déclaration pendant la minorité, pour toutes les personnes qui auront commis des crimes et des délits au sens de la loi à venir. De toute façon, les immigrés de la deuxième génération passent tous par une période d'extranéité, mais bénéficient d'une mesure compensatoire, éminemment controversée en France, qui consiste en la délivrance d'un titre d'identité républicain sur présentation du livret de famille. Cette période d'extranéité sera donc fatale pour les auteurs de crimes et délits susceptibles d'entraîner la déchéance de la nationalité française. 3. Une fois déchus de la nationalité française et après avoir purgé leur peine, ces anciens Français seront-ils autorisés à demeurer sur le territoire français? Feront- ils l'objet de mesures d'expulsion immédiate, en application d'éventuelles peines accessoires que pourraient prononcer les juridictions répressives, en vertu de la loi à venir? Si oui, vers quel(s) pays? S'agissant des personnes dont les parents sont d'origine algérienne, il faut savoir qu'elles ne possèdent strictement aucune attache sérieuse avec le territoire algérien (ni par la naissance, ni par la culture ni par l'éducation ni par le sentiment d'appartenir à la collectivité algérienne). Ces personnes sont encore plus étrangères à l'Algérie qu'elles ne le seraient à l'égard de la France, puisque c'est ainsi, désormais, que les perçoit le premier magistrat de France. Il apparaît de plus en plus clairement que la politique française d'intégration des minorités d'origine étrangère est un échec. Il n'appartient pas à l'auteur de ces lignes d'en rechercher les causes, bien trop complexes pour être seulement évoquées dans ce bref commentaire. Quoi qu'il en soit, tous les Français visés par des mesures de déchéance de la nationalité française (dont les parents sont d'origine algérienne), qui pourraient être expulsés de France après avoir purgé leur peine, ne seront pas forcément les bienvenus en Algérie, laquelle n'est, après tout, que le pays d'origine de leurs parents et n'est que cela. . (*) Professeur de droit [email protected]