La nouvelle loi organisant la profession d'expert comptable, de commissaire aux comptes et de comptable agréé, vient d'être publiée au JORA du 11 juillet 2010 (n°42). Il s'agit de la loi n° 10-01 du 29 juin 2010 venue abroger un grand nombre de dispositions de sa devancière, la loi du 27 avril 1991 relative au même objet. En 20 ans, la structuration et la configuration du paysage économique et financier de l'Algérie se sont considérablement modifiées et il devenait indispensable pour le législateur de tenir compte des amendements substantiels apportés au Code de commerce (mai 1993), la loi sur la monnaie et le crédit (août 1993) et d'intégrer les prescriptions de la loi du 6 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, de la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, enfin de la loi du 25 novembre 2007 portant système comptable et financier. La loi du 29 juin 2010 comporte 84 articles subdivisés en 12 chapitres. Voici les points qu'il est essentiel de retenir concernant l'organisation de la profession. 1. Un Conseil national de comptabilité (CNC) placé sous l‘autorité du ministre chargé des Finances aura pour missions l'agrément, la normalisation comptable, l'organisation et le suivi des professions comptables. L'organisation, le fonctionnement et les attributions du CNC seront précisés par voie réglementaire. 2. L'exercice de la profession d'expert comptable, de commissaire aux comptes et de comptable agréé est soumise à des conditions très strictes: nationalité algérienne, jouir de tous ses droits civiques et politiques, diplômes délivrés par des institutions de formation habilitées. A cet égard, le CNC apprécie la validité professionnelle des titres et diplômes de tout candidat à l'une ou l'autre de ces trois catégories professionnelles. 3. Il est créé un Ordre national des experts comptables, une Chambre nationale des commissaires aux comptes et une organisation des comptables agréés. Ces trois institutions qui jouissent, chacune de la personnalité morale ont, entre autres fonctions, celles de veiller à l'organisation et au bon exercice des professions, d'élaborer un code de déontologie, défendre l'honneur et l'indépendance de leurs membres. Pour mieux organiser la profession 4. L'expert-comptable est celui qui «organise, vérifie, redresse et analyse les comptabilités des entreprises et organismes qui le chargent de cette mission à titre contractuel» (loi, article 18). Il doit tenir, centraliser, ouvrir, arrêter, surveiller et consolider les comptabilités des entreprises auxquelles il n'est pas lié par un contrat de travail. Le commissaire aux comptes exerce cinq missions essentielles: (a) certifie la régularité et la sincérité des comptes annuels; (b) vérifie la sincérité et la concordance des comptes annuels au regard du rapport de gestion remis par les organes sociaux de l'entreprise; (c) donne un avis sur les procédures de contrôle interne; (d) apprécie les conditions de conclusion des conventions entre l'entreprise contrôlée et les entités qui y sont affiliées; (e) signale aux organes compétents de l'entreprise toute insuffisance susceptible de compromettre la continuité de l'exploitation. Quant au comptable agréé, il tient, centralise, ouvre et arrête les comptabilités et les comptes des commerçants, sociétés ou organismes qui font appel à son service. 5. Afin de permettre à la profession de mieux s'organiser et aux professionnels de mutualiser leur savoir-faire, leur expertise et leurs réseaux de clientèle, la loi leur permet de s'organiser sous forme de SPA, Sarl, sociétés civiles ou encore de groupement d'intérêt économique, à condition que l'intégralité des sociétaires soit de nationalité algérienne. Par ailleurs, afin de susciter une véritable concurrence entre les opérateurs privés et publics, il peut être créé une EPE dont l'objet social est l'exercice d'une des trois professions visées en objet, étant entendu que le personnel d'intervention doive satisfaire aux conditions d'agrément de l'une des trois professions. Régime de la responsabilité et régime des incompatibilités. Commissaire aux comptes, expert comptable et comptable agréé sont civilement responsables à l'égard de leurs clients en vertu de clauses contractuelles; il s'agit d'une obligation de diligence et de moyen et non d'une obligation de résultat. La loi soulève cependant deux points qui méritent examen au regard de l'obligation faite aux professionnels de répondre solidairement de tout dommage résultant d'infractions à la loi. Nul ne peut être tenu pour coupable si... Il y a toujours un risque de dérive si la nature des infractions n‘est pas précisée, d'autant que les professionnels ne peuvent se dédouaner qu'en administrant la preuve qu'ils ont accompli les diligences normales de leur fonction et qu'ils ont informé le Conseil d'administration ou tout autre organe compétent, cependant qu'en cas de constatation d'une infraction, ils devront également prouver qu'ils ont informé le procureur de la République territorialement compétent. Certes, ce principe de responsabilité mérite l'approbation, eu égard aux nombreuses dérives constatées ces dernières années, à propos de la sincérité des comptes des entreprises, mais, à notre avis, la loi devra mieux l'encadrer pour protéger, notamment le commissaire aux comptes, contre toute mise en cause abusive. Le deuxième point est qu'un principe de responsabilité pénale ne peut pas être posé, dès lors qu'il y a seulement manquement à une obligation légale. C'est le lieu de rappeler un principe de droit constitutionnel qui ne souffre aucune équivoque: «Nul ne peut être tenu pour coupable, si ce n'est en vertu d'une loi dument promulguée antérieurement à l'acte incriminé.» (Constitution, article 46). Or, le manquement à une obligation légale ne donne pas automatiquement lieu à une mise en cause de nature pénale. S'agissant des incompatibilités, il est clair que les trois professions concernées ne peuvent pas être exercées par une personne qui aurait la qualité de commerçant ou celle de salarié, posséderait un mandat parlementaire, voire même un mandat électif au sein de l'instance exécutive d'une assemblée locale élue. Les obligations spécifiques C'est uniquement parce que le ministère des Finances a relevé que la profession n'était pas organisée et que les personnes effectuant leur stage dans les cabinets professionnels n'étaient ni prises en charge ni rémunérées (ce sont même elles qui, bien souvent, payent leur stage et sont soumises à des obligations étrangères à leur activité) qu'il a décidé de prendre ce problème à bras-le-corps. A ce titre, le législateur impose désormais aux professionnels établis de recevoir les stagiaires, d'organiser leurs stages et de les rémunérer (article 78 alinéas 1 et 2). En conclusion, signalons seulement le silence de la loi à propos des cabinets d'audit étrangers installés en Algérie. Leur activité entre-t-elle dans le champ d'application de la loi du 29 juin 2010? L'activité d'auditeur qui n'est pas organisée en Algérie est-elle assimilable à celle d'expert- comptable ou de commissaire aux comptes? Dans l'affirmative, cela signifie-t-il que les sociétaires étrangers de ces cabinets devront demander la nationalité algérienne pour pouvoir continuer à exercer en Algérie? En tout cas, l'Algérie est le seul pays arabe où les cabinets d'audit et de conseil étrangers (qui sont de droit algérien) ne sont pas dirigés par des Algériens; ce qui constitue, à bien des égards une anomalie. (*) Professeur en droit des affaires [email protected]