La ville des Genêts avait, en ce jeudi électoral, rendez-vous avec son destin. Ceux qui s'attendaient à un bain de sang quitteront la ville déçus. Cette partie-là de la Kabylie donnait l'image d'un agonisant en quête de résurrection. Durant toute la journée, Tizi Ouzou a vacillé entre des semblants d'échauffourées et des moments de quiétude. La nuit était calme mais inquiétante. Personne ne pouvait savoir ce qui allait se passer le lendemain, puis vint le jour. Il est 08 heures. Les bureaux de vote ouvrent normalement et les premiers électeurs arrivent. Les rues sont désertes et la situation calme. Deux Nissan des brigades anti-émeute sillonnent la ville pour s'assurer que les menaces des ârchs ne sont pas mises à exécution. A ce moment-là, on pouvait remarquer qu'il n'y avait ni barricades, ni attroupements suspects. Rien que des citoyens occupés à acheter très tôt, ce qu'ils peuvent encore trouver. Le temps en ce début de matinée est encore frais, les commerces sont pratiquement tous fermés, seuls quelques vendeurs de fruits dans la rue et quelques boulangeries étaient là, témoignant que la ville n'était pas totalement morte. Vers 09 h 30, nous accédons à un bureau de vote dans l'école fondamentale Ali-Takroucht. C'est avec beaucoup de calme et de sérénité que s'adressera à nous la présidente du bureau. «Tout se passe normalement, les gens viennent voter», nous expliquera-t-elle, en ajoutant que «ça se passe beaucoup mieux que lors des dernières législatives». Le constat est on ne peut plus fidèle. Ouvert depuis une heure et demie, le bureau a déjà enregistré une dizaine de votants dont la plupart dépassent les 70 ans, nous signale-t-on par ailleurs. Sur place, nous trouvons nos confrères de la chaîne de télévision MBC en train de filmer le déroulement du scrutin. A l'intérieur du bureau, on se cache, on évite la caméra. «C'est normal qu'elles ne veulent pas paraître à l'écran . C'est un climat très particulier qui règne ici. Demain, elles risquent d'être traitées de harkis dans la rue, ou au pire des cas, être agressées. Il faut les comprendre», nous dira un jeune agent sur place. Pourtant, cette crainte quasi générale ne semble pas toucher tout le monde. Djouhar, surveillante du FFS dans ce bureau mais aussi candidate ne semble pas répondre à cette logique de terreur. La jeune fille qui ne dépasse visiblement pas la trentaine, a le regard sûr et l'air engagé dans un combat qu'elle ne veut pas perdre. «Je viens voter, j'habite Tizi Ouzou et je n'ai peur de personne», nous dit-elle. Djouhar était la seule à ne pas éviter la caméra. Une audace rare lorsque beaucoup se sont résignés à la logique des ârchs mais surtout à leurs menaces. Un vent léger commence à souffler sur la ville des Genêts apportant avec lui, certes une fraîcheur matinale, mais aussi... une odeur de pneus brûlés. On devine alors aisément qu'«ils» se sont réveillés. «Ils», ce sont ces jeunes de la cité CNEP, de la Nouvelle-Ville ou du quartier des Genêts. Les seules bandes de la ville, capables de paralyser Tizi Ouzou des jours durant. En cette journée toute spéciale, ils tentent de faire surtout dans le spectaculaire et pour cause, tous les médias sont là, attendant le moindre brasier, scrutant le moindre mouvement.