Dans une décision rendue le 22 septembre 2010, le tribunal administratif de Paris a ordonné au ministère français de la Défense de justifier son refus de communiquer les pièces de ce dossier, classées secret-défense. Ironie de l'histoire, c'est à moins d'un mois de la célébration des dramatiques événements du 17 Octobre 1961 que la justice française a rendu son verdict. Une page sombre de la présence de la France coloniale en Algérie que l'Hexagone se refuse à assumer. La vérité doit pourtant éclater. Les vétérans des essais nucléaires qui se sont regroupés en association s'y sont attelés et se démènent comme de beaux diables. Pour la plupart d'entre eux c'est le dernier combat de leur vie. Bon nombre de leurs camarades ont déjà quitté cette terre. La justice pourrait pour cela forcer le destin: la grande muette doit rompre le silence. «Le tribunal administratif de Paris, en son audience du 22 septembre 2010, ordonne au ministère de la Défense de saisir la commission consultative du secret-défense et de justifier un éventuel refus de communiquer les pièces demandées», nous apprend un communiqué de l'Aven (l'Association des vétérans des essais nucléaires) rendu public le 15 octobre. D'après un rapport militaire classé «Top secret» quelque 40.000 Algériens, entre sédentaires et nomades, répartis en groupes de près de 500 personnes, éloignés par une dizaine de kilomètres les uns des autres, peuplaient le périmètre concerné par ces essais nucléaires. Les 150.000 civils et militaires, qui ont participé aux 210 essais menés de 1960 à 1996 par la France, dans le Sahara algérien puis en Polynésie française finiront probablement par savoir toute la vérité sur ce qui leur a été caché par les responsables militaires de l'époque. Les graves conséquences de ces opérations, ces séquelles qu'ils portent en eux comme des témoignages, étaient prévisibles. L'armée française les avait cachées. «210 essais ont été menés entre 1960 et 1996, dans le Sud algérien et en Polynésie. Civils ou militaires, près de 150.000 personnes ont travaillé sur ces sites. Des dizaines de milliers d'habitants de ces régions sont, en outre, potentiellement concernés», pouvait-on lire, le 28 juin 2010, sur le site du quotidien français Le Monde. Ce visage méconnu de la Guerre d'Algérie a mis sur le même pied d'égalité les populations algériennes victimes de ces essais nucléaires et les jeunes appelés sous le drapeau français. «Nous avons été les cobayes de l'atome. J'étais à 10 km, en short, sans aucune protection», a témoigné Guy Peyrachon, un des conscrits, membre de l'Association des vétérans des essais nucléaires qui compte quelque 5000 personnes. La première bombe atomique française venait d'exploser, le 13 février 1960, dans le Sahara algérien. Crises d'épilepsie, nodules cancéreux de la thyroïde, cancer de la peau... Lucien Parfait, dont le visage a été ravagé par ces expériences, a déclaré: «A l'époque, les hommes ne comptaient pas.» Ceux qui ont pris part à ces essais ignoraient leur but inavoué: «Etudier les effets physiologiques et psychologiques produits sur l'homme par l'arme atomique», souligne un document publié le 16 février 2010 par le journal français Le Parisien. Un rapport accablant de 260 pages estampillées «Confidentiel défense». Il démontre à quel point la France était prête à se doter de la bombe atomique quel que soit le prix humain à payer. «Que dans le contexte de l'époque, on fasse des manoeuvres, on peut en discuter. Mais que tout cela soit fait sans aucune prise en compte sociale ou médicale des hommes, c'est quasi criminel», a jugé Patrice Bouveret, président et cofondateur de l'Observatoire des armements. C'est sans aucun doute cette vérité que les services de l'armée française tentent encore d'occulter en mettant sous le coude les documents accablants de cette «guerre nucléaire à ciel ouvert». La vérité est malgré tout en marche. «Dans le cas où il (le ministre) estimerait que la déclassification et la non-communication de tout ou partie de ces documents sont justifiées par le secret de la Défense nationale, il devra verser au dossier tous éléments d'information sur les raisons de l'exclusion des documents en cause» ont ordonné les magistrats. La justice resserre l'étau. Les victimes de Reggane de Mururoa et Tatou pourront, peut-être, enfin obtenir «réparation».