Les habitants de la capitale n'arrivent toujours pas à ôter de leur mémoire les terribles événements d'Octobre 1988. Ils étaient nombreux à rester sur les trottoirs ou à se pencher aux balcons de leurs immeubles pour observer la tentative de marche populaire initiée par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (Cncd) devant partir de la place du 1er-Mai. Le spectre d'une féroce répression policière hante toujours l'esprit des Algérois qui ne se relèvent pas encore des années sombres du terrorisme. Les centaines de morts enregistrés lors des émeutes d'octobre 1988 sont tel un terrible cauchemar que les habitants de la capitale n'arrivent toujours pas à ôter de leur mémoire, plus de vingt-deux ans après. «Waârine (ils sont dangereux)... ils ont presque une trentaine d'années d'expérience dans la répression, wechbik», ironise un passant en observant l'impressionnant dispositif sécuritaire mis en place pour faire face à cette journée de colère. «On a vu ce dont ils sont capables, il y a quelques années», lance un quinquagénaire à son ami. L'air quelque peu agacé mais nullement étonné par l'attitude des agents de l'ordre, il continue en réponse à une question: «Nous avons déjà essayé, maintenant c'est le tour des jeunes.» Depuis quelques années déjà, la population d'Alger est visiblement partagée devant ce genre de manifestation, quelle soit organisée par un parti politique ou par une organisation autonome. Il y a ceux qui participent activement aux marches, meetings et rassemblements, même en cas d'interdiction, pour revendiquer leur droits sociaux, économiques et politiques. Mais, il y a les autres. Bien plus nombreux, ces derniers sont dans leur majorité désabusés, résignés et ne croient guère à l'aboutissement ou au succès de ce genre de combat. La gigantesque marche initiée par le mouvement citoyen le 14 juin 2001 en est un exemple édifiant. «Ça ne va rien changer... on en a déjà fait l'expérience», insiste un fonctionnaire. «Je suis juste venu pour voir», ajoute-t-il. Quelques minutes après, un groupe d'une centaine de personnes arrivant de Belcourt rejoint les manifestants bloqués à la place du 1er-Mai par les nombreux cordons de sécurités mis en place par la police. «Y en a marre de el hogra, y en a marre de el hogra», scandent-ils. La foule qui grossissait depuis neuf heures battait en brèche les paroles qui laissaient pourtant penser au désintérêt des gens. «En fait, les gens ont peur. Ils ont peur de la répression et de l'instabilité... cela fait des années qu'ils luttent», affirme un manifestant. «Ce n'est que le début, les gens vont nous rejoindre par la suite», assure, confiant, un autre jeune manifestant. Cependant, l'adhésion des habitants était plus importante que celle de la marche du 22 janvier dernier. Les Algérois se mobiliseront-ils encore plus dans les prochains jours? C'est la suite qui sera donnée à cette action par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie, qui doit se réunir aujourd'hui, y apportera la réponse.