Revisitée, la pièce nous a donné rendez-vous, la semaine dernière, au Café du Bonheur I ayant élu domicile sur les tréteaux du Palais de la culture Moufdi-Zakaria. Une pièce déclinée dans le genre de la halka et fait le contrepoids des maux sociaux pour en extraire leur absurde réalité. Ils sont quatre personnages à chahuter entre eux, échanger leur points de vue, et à se disputer parfois ensemble au coeur d'un café populaire ordinaire. Eux, ce sont Amri Kaouane alias El Amri un agitateur de consciences qui adore chanter, Noureddine Saoudi au oud qui dans cette nouvelle version de El Gourbi ya mon ami, intervient et parle, Mohamed Boualleg alias Ammi Kada le cafétier et Khalil Aoun, un jeune Algérien chômeur qui, muni d'une carte de géographie à la main, rêve de passer les frontières et tenter la harga pour aller au Canada ou en Australie. Bien que le metteur en scène Ziani-Chérif Ayad nous ait affirmé que la pièce serait revue et corrigée, force est de constater qu'elle a connu peu de changements. El Gourbi ya mon ami a été plutôt réactualisée. Certains événements récents ont été rajoutés et apparaissent comme un clin d'oeil satirique incontournable à la situation politique qui prévaut actuellement dans le Monde arabe, à savoir le départ du président tunisien Ben Ali et la folie d'un El Gueddafi qui plante sa tente moyenâgeuse en plein Champs-Elysées en France. L'humour satirique et la peinture sociétale algérienne constituent le bon mélange. Car les problèmes que vivent les Algériens sont multiples et on peut écrire des pages sur les travers que connaît notre société. La pièce met en évidence les préoccupations des Algériens comme miroir des réflexions de l'homme lambda. Si El Amri dénonce, le cafetier est là pour le modérer et jouer au ping-pong de sorte à peser le pour et le contre devant un jeune Algérien incrédule, perdu qui ne sait finalement qui croire et qui suivre dans sa quête identitaire pour assurer son avenir. La pièce pique, porte au vitriol certains faits amers qu'elle présente sous forme de dérision, histoire de prendre de la distance et rire sur nous-mêmes. Pari gagné puisque le public y adhère et rit à gorge déployée pour certains. «Même le désordre est révolutionnaire en Algérie, disait Ché Guevara» note El Amri. «El Hogra tue», ajoute-t-il plus loin. Entre chaque tableau, Noureddine Saoudi interprète un morceau tiré du patrimoine andalou tout en évoquant le vieux répertoire algérien à l'image de Rachid Ksentini dans «Quand j'étais dans mon gourbi...» mais El Amri, à la voix mélodieuse perchée, déclinée a cappela, vole incontestablement par moment la vedette à Saoudi. Un Saoudi plus ou moins effacé, engoncé dans son costard sombre. El Amri n'a de cesse de créer la zizanie et susciter des interrogations au fur et à mesure qu'il se plaint de la perfidie de la vie. Il évoque les éternels victimes du tremblement de terre de Boumerdès qui continuent à vivre sous des tentes. «S'ils ne les relogent pas c'est parce qu'ils s'inquiètent pour eux justement. Ils craignent qu'un nouveau tremblement de terre les achève. Donc vivre sous une tente c'est mieux! Avec une Khaïma c'est facile, tu peux la planter où tu veux.» El Amri dénonce aussi la gabegie du système bureaucratique qui pleure sur les innocents sans bouger le petit doigt. La carte de séjour se transforme en une carte de «guittoun» qu'on délivre aux sans abri. «Mata nasatrihou men hadi el balâti?», chante Saoudi. De son côté, El Amri poursuit sa diatribe contre la richesse ostentatoire des nantis et leur individualisme arguant que ce n'est pas la vie. «C'est ça la vie!», tonne le jeune Ali. El Gourbi ya mon ami continue à égrener les vérités qui font mouche en évoquant certains sujets qui fâchent comme la liberté d'expression, et le paradoxe d'un pays riche qui ne produit rien mais ne fait qu'importer les denrées alimentaires d'un peu partout, réduisant les Algériens à «de grandes bouches participatives»... à manger! Et de finir par un plaidoyer pour les nouvelles technologiques qui font bouger le monde à l'instar de facebook qui a déclenché la récente révolte chez nos amis égyptiens. El Gourbi ya mon ami sera rejouée, aujourd'hui à 15h, au Palais de la culture Moufdi-Zakaria, puis le 28 février à 19h30, à l'auditorium Aïssa-Messaoudi de la Radio algérienne.