Algérie 2010. Lieu : café du Bonheur, dans un vieux quartier populaire. Propriétaire : Ammi Kada. Quatre personnages discutent, rêvent et espèrent. Le Théâtre El Gosto, dirigé par le metteur en scène Ziani Chérif Ayad, a présenté avant-hier soir au public du palais de la Culture le spectacle El Gourbi ya mon ami, écrit par Lamri Kaouane, Ziani Chérif Ayad et Tayeb Bouamar. Comme l'an dernier, on se retrouve au café du Bonheur qu'Abdelkader — Kader pour les clients, et Kada pour les intimes — (Mohamed Boualleg) a hérité de son grand-père. Aux côtés de Kada, on trouve le garçon de café, Allilou (Khalil), qui ne rêve que d'une seule chose : traverser la mer. On fait la connaissance également de Noureddine (Noureddine Saoudi), un musicien désabusé qui revisite les vieux standards andalous ou de music-hall. Et puis, il y a le très sympathique El Amri (Lamri Kaouane), agitateur mais d'une grande sagesse. Tout ce beau petit monde évolue donc au café du Bonheur et chacun représente une tendance : Kada incarne l'ancienne génération qui passe son temps à évoquer les gloires d'autrefois ; Allilou quant à lui est l'archétype du jeune Algérien, frustré, rêveur en quête de bonheur absolu… de l'autre côté de la Méditerranée ; El Amri est un excentrique, dont le comportement frise la folie, mais le discours est emprunt d'une grande lucidité ; Noureddine est un artiste, désillusionné, au tempérament modéré. Malheureusement, il n'y a aucune folie en lui. Les personnages discutent, parlent de l'Algérie, de ses défis, de ses problèmes et même de ses perspectives. Dans le discours, il y a une nostalgie de l'ancien temps, des traditions d'autrefois et de la solidarité entre les individus, dans un passé pas très lointain. Pourtant, les belles valeurs d'antan sont en train de disparaître. Comme la modernité pose un réel problème, la pièce préconise — indirectement — de sauvegarder notre patrimoine, de le valoriser et de le préserver, mais tout en essayant d'aller de l'avant en maîtrisant sa culture et en l'exportant. Il faut bâtir des ponts, transcender sa situation et créer des passerelles entre soi (Algérie) et le reste du monde. Il faut également mettre en valeur sa spécificité et parvenir à éprouver de la fierté vis-à-vis de notre patrimoine et de certaines belles traditions héritées de nos aïeuls. El Gourbi ya mon ami commence par l'intrusion d'El Amri au café du Bonheur, lui qui est persona non grata en ce lieu. Il cherche à se soulager, mais il se heurte, au début, au refus de Kada, un vieil homme grincheux et irritable, mais avec un grand cœur. Intervient ensuite le jeune Allilou, muni d'une carte de l'Europe, qui nourrit de grands espoirs et qui n'aspire qu'à quitter le pays. Entre ensuite le musicien Noureddine, qui s'est chargé de présenter les protagonistes au public qui entourait les comédiens. En fait, les spectateurs avait également un rôle dans la pièce, d'une durée de quatre-vingt-dix minutes. Car le metteur en scène d'El Gourbi ya mon ami a revisité le concept de la halqa. Une tentative assez réussie puisque le public était largement captivé. La pièce traite de plusieurs thèmes à la fois, entre autres la crise du logement, la mal-vie, les belles valeurs d'autrefois en voie de disparition. Les discussions et autres tirades des personnages étaient entrecoupées de respirations musicales. Noureddine Saoudi a revisité au mandole de superbes titres, notamment Quand j'étais dans mon gourbi, de Rachid Ksentini, ou encore Sidi hbibi, le magnifique standard de music-hall, interprété entre autres par Salim Hellali. El Gourbi ya mon ami traite, en somme, des misères et splendeurs des Algériens. Un beau moment de théâtre, mieux réussi que celui présenté l'an dernier.